La montagne au Maroc dispose-t-elle de suffisamment de richesses pour assurer la satisfaction des besoins fondamentaux de sa population et dégager un surplus à réinvestir, tout en respectant les conditions d’un développement durable (viabilité écologique, économique et sociale)? Si oui, quels sont les moyens humains et techniques nécessaires pour tirer de ces richesses des revenus satisfaisants et continus? La réponse à ces questionnements occupe les esprits depuis quelques jours. Depuis que le roi Mohammed VI a demandé la mise en place d’un nouveau modèle économique pour la montagne avec un financement de 120 milliards de dirhams sur 5 ans.
Avant d’analyser les composantes d’un futur modèle économique et ce qui devrait le différencier de l’actuel dans la cohérence de ses moyens et sa gouvernance, arrêtons-nous encore une fois sur la richesse disponible.
Territoire aux ressources diversifiées, la montagne au Maroc offre plusieurs opportunités à valoriser. Le Haut Atlas et le Moyen Atlas sont connus depuis la nuit des temps pour leurs richesses minières, avec des mines en activité et d’autres à exploiter. Plusieurs sources d’eau de qualité peuvent également faire l’objet d’une mise en bouteille. La petite agriculture, le pastoralisme, l’arboriculture sont là, mais pratiqués dans la plupart des cas de manière assez rudimentaire. Comme le sont l’exploitation des sites touristiques et l’artisanat. Les richesses existent, mais elles sont mal valorisées ou pas du tout.
Pendant longtemps, la montagne a été le parent pauvre du développement économique. Desservie par un accès difficile, elle n’a pas profité des avancées des autres régions. Les quelques organismes qui devaient lui montrer un intérêt n’ont pas fait preuve de beaucoup d’ambitions. Les projets de développement rural des montagnes de l’Atlas, portés par le ministère de l’Agriculture, se sont limité à des actions d’entretien de l’existant sans ambition de transformation de l’espace ou de valorisation de la production avec une première transformation.
Ce projet devrait durer jusqu’en 2030. Même manque d’ambitions chez les différents conseils de région, alors que les Programmes de développement régionaux (PDR), chèrement payés, se devaient de proposer des pistes de travail et de croissance économique. Terminons ce tour d’horizon en questionnant les réalisations des Centres régionaux d’investissement (CRI), «banques de projets et facilitateurs». Au vu du PIB de ces territoires (situé dans la tranche basse de la moyenne nationale) l’action de ces trois organismes, pour ne citer qu’eux, n’a pas été d’une grande efficacité.
Aujourd’hui, un nouveau modèle économique est appelé à voir le jour avec un budget de 120 milliards de dirhams (8,3% du PIB 2023). Allons-nous assister à une transformation de ces territoires grâce uniquement à cette manne financière? Le croire c’est aller vite en besogne et accorder un rôle mineur à la gouvernance et la planification dans tout modèle économique. Penser qu’il suffit de déverser de l’argent sous diverses formes (constructions, infrastructures, aides…) avec les mêmes précédents programmes et la même gouvernance, c’est courir le risque de ne pas atteindre les résultats escomptés.
Le succès de tout nouveau modèle économique est lié au changement de paradigme qui l’accompagne et notamment le nouveau rôle participatif dévolu aux acteurs concernés par la conversion. D’assistées et relativement passives, les populations devraient se muer en agents économiques actifs producteurs de richesses. Aider la population à s’organiser (TPE en réseau), à valoriser la richesse disponible en procédant à sa transformation, à créer des circuits de distribution, à valoriser les paysages, le patrimoine, voilà le principal défi culturel à relever.
La proposition d’un organisme de gouvernance, en dehors de l’exécutif national ou régional, faite dans une précédente chronique, visait et vise toujours à prendre la pleine mesure de l’installation d’un nouveau modèle économique. Un modèle qui soit capable d’opérer un saut qualitatif dans l’approche de la gouvernance du développement de la montagne en vue d’agir à travers un haut niveau de coordination et d’optimisation des actions sur les ressorts comportementaux des acteurs. Il ne s’agit pas d’un exécutif qui concurrence les autres existants, mais d’un organe de coordination travaillant avec les autres. Un organe qui sera à «l’écoute préalable à la prise de décision» de la population, la fera participer aux chantiers et à la construction du nouveau tissu économique, établira une feuille de route et des plans d’action suite à un grand colloque national sur l’avenir socio-économique et culturel de la montagne qu’il organisera.
Le souhait pressant de participer à la reconstruction et au plan de développement exprimé par plusieurs ministères est tout à fait compréhensible. Reste à convaincre en quoi leur approche est nouvelle et s’intègre dans la philosophie du nouveau modèle économique.
La crainte est que leur empressement risque de paraître ou de se transformer en précipitation.