C’est l’historien français Fernand Braudel qui avait décrit, de manière remarquable, le déplacement du «centre du monde» au cours de l’histoire de l’humanité. Situé d’abord en Méditerranée qui concentrait l’essentiel des échanges commerciaux du globe jusqu’au XVIe siècle, le centre du monde s’est déplacé ensuite vers l’Atlantique avec la découverte de l’Amérique et la montée en puissance des économies européennes et américaines. Le célèbre historien avait terminé son exposé en prédisant un nouveau déplacement de ce centre vers le Pacifique au XXIe siècle avec le développement de la Chine, du Japon et des autres pays asiatiques.
Cette approche est à la base de l’idée du «pivot» développée par Barak Obama lors de son voyage en Asie-Pacifique en 2011. A savoir le rééquilibrage politique et militaire vers les pays émergents en général et l’Asie en particulier. La vieille Europe, la région MENA et le Moyen-Orient devaient être délaissés progressivement car sources pour les Etats-Unis de problèmes trop énergivores.
L’administration Trump a utilisé cette doctrine à sa manière, forçant le trait sur la primauté des intérêts américains. Divergences avec les Européens, coupables de profiter de la protection américaine à moindre frais, surtout l’Allemagne. Il a même été question de délaisser l’OTAN ou du moins de réduire ses moyens. Amitié renforcée avec la Russie, nouvelle approche au Moyen-Orient et en Afrique, la diplomatie américaine innovait en faisant preuve d’imagination. In fine, c’est la Chine qui était devenue la principale source d’inquiétudes avec son projet de supplanter les Etats-Unis comme première puissance mondiale, la guerre commerciale s’est installée entre les deux mastodontes.
L’équipe qui dirige actuellement le Département d’Etat aux Etats-Unis, Antony Blinken et Wendy Sherman en tête, ainsi que celle qui chapeaute le Conseil national de sécurité ont exercé leurs talents lors du mandat de Barak Obama, elles ont participé à la mise en place de la doctrine du «pivot». Doctrine qui, enrichie d’une approche «réaliste et pragmatique», a été reprise par Joe Biden. Bien qu’au début de son mandat il ait adressé des signes amicaux, amélioration de l’image oblige, aux Européens sur divers sujets, notamment le climat, il n’en demeurait pas mois que l’essentiel de son intérêt s’était porté sur l’Asie et la Chine en particulier.
Depuis quelques semaines, pour ne pas dire quelques jours, les choses allant très vite suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les théories géopolitiques et les doctrines diplomatiques qui s’en inspirent connaissent des bouleversements.
Disons que, pour faire court, la manœuvre de Vladimir Poutine en Ukraine, en menaçant la sécurité de l’Europe, a remis en exergue le paradigme géopolitique Hobbesien qui repose sur la «sécurité et la menace extérieure» au détriment de l’approche historique de Fernand Braudel qui privilégie le volume des échanges commerciaux.
L’espace euro-méditerranéen-atlantique a récupéré son intérêt hautement stratégique. L’Europe se réarme, met au premier plan son unité, sa sécurité, organise sa riposte face à la Russie, devient attrayante pour d’autres pays européens non-membre de l’OTAN. Europe qui, faut-il le rappeler, demeure l’ensemble le plus riche de la planète après les Etats-Unis avec un PIB de 15.193 milliards de $ en 2020, légèrement devant la Chine. Europe qui reconnaît aussi avoir commis une grosse erreur en suivant son allié américain dans sa stratégie d’affaiblissement et d’isolement de la Russie. Résultat des courses: une réaction brutale de celle-ci et la constitution probable d’un futur axe Chine-Russie.
L’Occident semble avoir retenu la leçon. L’Europe parle d’une seule voix et pour les Etats-Unis il n’est plus question de délaisser l’OTAN, Antony Blinken vient de l’affirmer à plusieurs reprises. La sécurité de l’Europe et des Etats-Unis vont de pair. Mieux, certains éditoriaux orientés aux Etats-Unis et en Europe, alarmés par le vote de certains pays africains influents à la dernière Assemblée générale de Nations Unies demandent de changer de ton et de manières avec des pays jusqu’à présent amis. Notamment le Maroc qui fait partie du dispositif de sécurité de l’OTAN.
Il faut espérer que la visite de Wendy Sherman, grosse pointure du Département d’Etat et diplomate chevronnée, va permettre, au vu du nécessaire repositionnement stratégique américain dans la région et de la position géostratégique du Maroc, de rapprocher encore plus les deux pays.
Pour le Maroc la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara par les Etats-Unis ne constitue pas une fin de parcours, mais un saut qualitatif de relations anciennes et robustes.
Nos deux pays sont proches par leurs valeurs, leurs intérêts sécuritaires et économiques. Nous montrons à travers nos actes et pas uniquement nos déclarations que nous sommes un pays qui respecte ses engagements.
Exemple parmi d’autres: nos relations avec Israël connaissent une amélioration rapide et embrassent plusieurs dimensions. Confirmant par là notre culture empreinte de tolérance et d’ouverture.
Aussi, il faut formuler l’espoir que certains élus du Congrès américain, qui portent un jugement hâtif et lointain sur nos positions, pourront un jour proche mieux nous connaître et modifier leur avis.
Notre région est en train de se réapproprier sa centralité dans le monde, économique et sécuritaire. Le Maroc à travers ses choix de démocratie représentative, de la libre entreprise, de lutte contre le terrorisme et des migrations incontrôlées se positionne naturellement comme «véritable» partenaire stratégique dans la région.
A nos amis occidentaux d’en tirer leurs conclusions.