Après à peine quelque 60 jours à la tête de la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure (DGDSE), le général-major Djamel Medjdoub Kehal est écarté de son poste. Il a été nommé, jeudi 14 juillet, à la tête de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Il échange son poste avec le général-major Abdelghani Rachedi, actif depuis avril 2020, suite à l’éviction violente de l’ex-général (dégradé) Wassini Bouazza. Rachedi devient ainsi le chef de l’espionnage algérien et Kehal du contre-espionnage.
L’annonce de cette permutation à la tête des services du renseignement algérien n’a pas encore été officialisée, mais tout indique qu’elle sera confirmée dans les heures qui viennent par l’habituelle cérémonie d’installation présidée, comme toujours, par le chef d’état-major de l’armée algérienne, le fraîchement autoproclamé général d’armée, Said Chengriha.
Ce qui est inédit, c’est que Chengriha a présidé la cérémonie de passation de pouvoirs entre le général Noureddine Mokri, dit Mahfoud du Polisario, et le général Djamel Medjdoub Kehal à la tête de la DDSE, il y a tout juste deux mois, soit le 14 mai 2022 plus précisément.
En effet, si une relative stabilité a marqué la DGSI, qui n’a pas changé de patron depuis 26 mois, la DGDSE a, elle, connu pas moins de cinq chefs durant la même période. Ainsi, en avril 2020, le colonel Kamel Dine Remili est remplacé par le général-major Mohamed Bouzit, alias Youcef, qui y reste jusqu’à janvier 2021, date à laquelle il cède sa place au général-major Noureddine Mokri. Après seulement quelque 15 mois, Mokri est éjecté à son tour au profit du général à la retraite Medjdoub Kehal, un ancien chef de la Direction générale de la sécurité et de la protection présidentielle (DGSPP) sous Abdelaziz Bouteflika, poste qu’il a occupé pendant une décennie (2005-2015). Medjdoub est aujourd’hui remplacé à la DDSE, et certainement pas pour longtemps, par le général Abdelghani Rachedi.
Cette instabilité chronique à la tête du renseignement extérieur algérien est révélatrice de l’improvisation, des errements, voire des erreurs de casting, d’un régime politico-militaire visiblement incapable de marquer des points et qui coupe des têtes au lieu de s’interroger sur les raisons structurelles de son impéritie. A ce rythme de purges, l’armée algérienne est devenue sans chef – au sens de tête. Décapitée, cette armée chavire au gré des actualités et pense rassurer sur la chaîne de commandement en changeant à chaque fois de commandant. Ce qui déstabilise à la fois les officiers et les troupes.
En scrutant de près le CV du nouveau chef du renseignement intérieur, on peut croire que tout prédestine Medjdoub Kehal à occuper ce poste hautement sensible. Il a certes fait l’essentiel de sa carrière en tant qu’agent des renseignements extérieurs, opérant hors d’Algérie. Car, après une formation au KGB (services d’espionnage de l’ex-Union soviétique), il a été responsable, pendant plus de 20 ans, soit de 1975 à 1996, du «bureau de sécurité» dans différentes ambassades algériennes (Iran, Syrie, Liban, Yémen et France), avant de revenir à Alger où il a dirigé l’école des services secrets jusqu’en 2021.
Lire aussi : Armée algérienne: avec l’arrestation de l’ancien patron des renseignements extérieurs, la guerre des clans s’accentue
En 2004, après quatre années comme attaché militaire à l’ambassade d’Algérie à Paris, il est nommé à la tête de la sécurité présidentielle, et prendra en charge la sécurité rapprochée d’Abdelaziz Bouteflika, ainsi que la sécurisation des dix résidences présidentielles disséminées dans les grandes villes du nord du pays (Alger, Annaba, Oran, Constantine…). Il sera renvoyé de la sécurité présidentielle suite à des coups de feu manigancés par le général Toufik et qui vont lui valoir, malgré son déni de toute relation avec le puissant chef de l’ancien DRS, une condamnation à la prison et une longue traversée du désert entre 2015 et 2022, jusqu’à sa nomination en mai 2022 à la tête des renseignements extérieurs.
Après son implication dans le plan de Toufik qui visait Abdelaziz Bouteflika, Medjdoub Kehal a essayé de fuir l’Algérie, en octobre 2015, à bord d’un vol pour Paris. Arrêté, il a été condamné à 3 ans de prison ferme pour «négligence». Jamais incarcéré, Kehal réussit, en appel, à se tirer d’affaire en niant tout lien avec Toufik, soupçonné à juste titre d’être derrière les évènements de Zeralda en réaction à son limogeage par Bouteflika en septembre 2015.
Cependant, ce retour en force de Kehal, comme ceux des généraux Hassan Aït Ouarabi, Nacer El Djenn et Djebbar Mehenna avant lui, prouve que derrière sa «réhabilitation», on retrouve inévitablement la main du général Toufik, qui continue depuis sa résidence de retraite, à tirer dans l’ombre les ficelles du pouvoir en Algérie en le quadrillant avec ses hommes de main qui ont repris du service.
Pour sa part, le général Abdelghani Rachedi a inauguré sa nouvelle mission de tout nouveau patron du renseignement extérieur en se rendant à Rabouni, dans la nuit de jeudi à vendredi, en vue d’y rencontrer le chef du Polisario, Brahim Ghali. Un déplacement qui renseigne à la fois sur les raisons des échecs du renseignement algérien et du principal objectif assigné au nouveau patron de l’espionnage: activer les forces nuisibles au Royaume.
Visite, à l’aube du vendredi 15 juillet, d’une délégation de hauts responsables des renseignements extérieurs algériens à Brahim Ghali aux camps de Tindouf. Ici, le cortège au point de contrôle entre Tindouf-ville et les camps de Lahmada.