Jeudi 7 octobre. Un employé de la sécurité d'une résidence balnéaire huppée dans les environs de Bouznika n'en croit pas ses yeux. Sur la banquette arrière d'un véhicule banalisé de la Sûreté nationale, il reconnaît Saïd Zaidi, puissant parmi les puissants du périmètre. «Des policiers l'ont escorté, menotté, jusqu'à chez lui pour une perquisition», nous confie cet agent de sécurité. Comme de nombreux habitants de Cherrat, il avait pensé que ce très influent président de commune et parlementaire était intouchable. «Un saint, fils de saint, qui pouvait tout se permettre», disait-il. Sauf que 48 heures auparavant, Saïd Zaidi avait été pris la main dans le sac…
Un cadeau à 400.000 dirhamsMardi 5 octobre. Sur l'avenue Al Aaraar, dans le très résidentiel Hay Riad de Rabat, un membre du bureau politique du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS) sort d'un café en compagnie du promoteur immobilier K.B. Ce dernier ouvre le coffre de son véhicule pour en sortir un sac-cadeau, qu'il remet au président de la commune de Cherrat, où son projet de résidence balnéaire traîne depuis 2015.
Une scène suivie de près par une équipe spéciale, mobilisée par la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ). Sur instruction du Parquet, l'équipe est immédiatement intervenue, juste après que les deux hommes se soient séparés. Saïd Zaidi est interpellé, et la fouille du sac, effectuée dans la foulée, est concluante: 400.000 dirhams en liasses tranchantes de 200 dirhams sont entassés dans cette pochette surprise géante. Le flagrant délit de corruption est-il pour autant avéré?
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«C'est faux!», rétorque un proche de la famille Zaidi. «Il ne connaissait pas le contenu du sac. Il a accepté de le prendre car l'entrepreneur avait insisté pour lui remettre un cadeau souvenir à l'occasion de sa double réélection. Saïd Zaidi n'a même pas jeté un coup d'œil sur le paquet, pensant qu'il s'agissait d'un présent d'une valeur symbolique», précise notre source, qui affirme qu'il s'agit «d'un coup monté par des adversaires politiques». Et d'ajouter: «si Zaïdi voulait vraiment toucher un pot-de-vin, il ne se serait pas affiché en public avec cet entrepreneur. Il aurait pu le recevoir chez lui, voir lui envoyer un de ses coursiers-chauffeurs pour récupérer ce magot qui ne représente même pas 20% du prix d'un seul des dizaines d'hectares dont il a hérité».
Un fief électoral héritéSaïd Zaidi est, de fait, l’une des plus grandes fortunes de la commune de Cherrat, dont le nom est d'ailleurs étroitement lié à celui de sa famille. Son père, Ahmed Zaïdi, qui a dirigé cette même commune pendant deux décennies, y avait trouvé la mort dans des conditions tragiques. Le 9 novembre 2014, ce visage télévisuel des années quatre-vingt, converti en figure politique de l'USFP, a été retrouvé noyé dans sa voiture, prise dans le piège des crues de l'oued Cherrat.
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«Cela s'est passé au niveau d'un tunnel ferroviaire que lui-même avait construit durant un de ses multiples mandats de président de la commune de Cherrat», se souvient un habitant des environs.
La disparition d'Ahmed Zaïdi a ouvert à ses enfants une voie royale en politique. Lors des communales de 2015, sa fille est élue comme vice-maire et parlementaire à Rabat. Son fils Saïd, qui n’était alors qu’un journaliste effacé au bureau de 2M de Rabat, a, lui, hérité du fauteuil de président de Cherrat, tout comme du siège parlementaire de la circonscription de Benslimane. «Dans le fief de son père, il s'est fait élire sans avoir à mener campagne. La mort de Ssi Ahmed était encore présente dans les mémoires, ce qui a valu un grand capital sympathie à son fils, qui a découvert une machine électorale à sa disposition, déjà bien rodée dans un territoire que son père tenait d'une main de fer depuis des années», témoigne ce connaisseur des arcanes politiques de la région.
Richesse fulguranteTrès rapidement, les signes extérieurs de richesses se font plus apparents sur le fils Zaïdi, qui mène alors la grande vie dans son fief où il règne en maître. Toute une collection de voitures de luxe garnit au fil des années les garages des multiples résidences du président de la commune, où les complexes balnéaires poussent plus vite que le raisin, fruit qui fait la réputation de ce même terroir. «Il n'y a peut-être pas une seule résidence où le président de la commune ne dispose pas d'un appartement ou d'une villa», nous confie un promoteur immobilier à Cherrat.
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Ces logements, Saïd Zaïdi en prendrait possession sans avoir à les payer en intégralité.«Il établit généralement un compromis de vente, moyennant une avance symbolique, mais ne complétait généralement pas le paiement. Cela ne l'empêchait pas d'occuper l'habitation et d'y effectuer parfois de grands travaux», poursuit notre source.
Même ces travaux restent parfois non payés. L'honorable président s'est ainsi offert pour 340.000 dirhams de vitrage et d'aluminium pour la villa familiale de campagne qu'il a reconstruit à neuf, sur 1000 m². Plus de la moitié de cette facture n'a pas été encaissée par le prestataire, qui a dû notifier Saïd Zaidi par voie judiciaire. Cette demeure est d'ailleurs érigée dans un domaine sur 15 hectares à Sidi Lakhdim, une zone où l'hectare agricole vaut déjà 2 millions de dirhams, et dont le prix flambera davantage une fois rattrapée par l'urbanisation galopante de la ville de Bouznika. Ce lopin de terre fait partie de l'héritage d'Ahmed Zaidi, qui a réussi à étendre son patrimoine foncier de la commune des Ziaida, d'où viennent ses aïeuls, jusqu'à Oued Cherrat, en passant par Benslimane.
Domaine privé et publicSi le père Zaidi a su préserver, jusqu'à sa disparition, sa bonne réputation parmi les habitants et les entrepreneurs de la région, son héritier ne recueille pas que des éloges. Bien au contraire, la cupidité de Saïd est un secret de polichinelle dans la zone. «Même le garage du cabanon historique de son père sur la plage de Bouznika, il l'a transformé en épicerie pour encaisser un loyer», nous indique un habitant. Ce chalet est loué à 2000 dirhams la nuitée, tout au long de la période estivale, tout comme les autres appartements dont il a pris possession et qui lui rapportent au bas mot dans les 10.000 dirhams par jour durant les mois de juillet et août. «L'ironie de la situation, c'est que le président de la commune perçoit en cash ces locations saisonnières, un peu comme tout le monde, alors qu'il est censé trouver le moyen de ramener ces revenus dans le circuit formel, de manière à améliorer les ressources financières de la commune qu'il préside», explique un agent immobilier de la région.
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Pis encore, le président Zaidi semble se permettre des largesses au niveau du domaine public sous son administration. «La guérite du gardien censé veiller sur un rond-point où le président a érigé de curieux dauphins, s'est transformée en café-snack, attribué à l’un de ses proches», explique un connaisseur des arcanes politiques de la région. Idem dans un nouveau complexe immobilier, récemment sorti de terre. Au cœur d'un carrefour, le président se serait octroyé un café pourvu d’une terrasse extérieure. «C'est le restaurant qui ne ferme jamais dans la zone. Même quand il y avait le couvre-feu à 21h, on pouvait y acheter des pizzas à 1h du matin. Aucun agent d'autorité n'osait toucher aux intérêts du président», raconte un voisin.
Grandeur et décadenceLe culte de sa puissance, Saïd Zaïdi a su l'entretenir finement durant son double premier mandat de président et parlementaire. Sur les réseaux sociaux, il ne manque pas de poster ses quelques interventions à la commission de l'Intérieur et de cadrer minutieusement ses photos avec les différents ministres. Le modeste festival célébrant le raisin qui se tenait annuellement à Cherrat, Zaidi l'a également transformé en évènement grandiose: lors de la dernière édition, tenue en 2019, le festival avait même décroché un patronage royal et avait été inauguré par le ministre de l'Agriculture.
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Ce capital influence, Zaidi a pu le mettre à profit pour rempiler pour son double mandat électoral à la suite des scrutins du 8 septembre. Auparavant, le seigneur d'Oued Cherrat aurait pris soin d'écarter tous ceux qui pouvaient lui barrer la route, parfois de manière brutale. En mai dernier, l'épouse d'un ancien confident de Zaidi avait même adressé une lettre de doléances au Roi Mohammed VI pour solliciter la libération de son mari, accusé de vol. Selon ses déclarations dans la presse, à l'époque, elle prétendait que Saïd Zaidi pensait que son conjoint allait se présenter aux élections et l'a donc accusé à tort de lui avoir dérobé 760.000 dirhams dans une de ses résidences.
D'ailleurs, les proches de Zaidi n'excluent pas que ce rival politique, libéré depuis sous caution, ait été à l’origine de ce coup de filet monté contre Saïd Zaidi. «Comment se fait-il qu'un promoteur qui accumulait les retards dans son projet et qui n'a pas donné signe de vie depuis début 2019 vienne prétendre que le président est à l'origine du blocage des travaux? Les documents et l'examen des procédures prouveront cette réalité», affirme une source proche de la famille Zaidi. La défense du plaignant, de son côté, affirme que le promoteur a fini par déposer plainte le 22 septembre, car il n'en pouvait plus de subir six nouvelles années d’un véritable racket exercé par le président de la commune. Dans ses déclarations devant le juge d'instruction, le promoteur immobilier a même affirmé que le montant remis n'était qu'une avance sur un présumé pot-de-vin, dont le montant total avait été convenu à 1,7 million de dirhams. La prochaine audience de confrontation, prévue pour le 3 novembre, apportera sans conteste son nouveau lot de révélations…