Conscients qu'ils sont dans une situation désespérée, vu que l'Italie a verrouillé depuis quelques mois le passage par la Méditerranée orientale, les migrants subsahariens présents au Maroc considèrent que c'est le moment pour eux de tenter leur chance sur le détroit de Gibraltar, en forçant notamment le passage frontalier à Sebta, estime l'historien et universitaire français, Pierre Vermeren.
Au moment où les nouvelles autorités espagnoles se montrent plus conciliantes envers les migrants et que le Maroc montre "son impatience et organise des interpellations pour désengorger la situation du pré-Rif et de Tanger qui est très tendue, afin de les rapatrier dans leurs pays", les migrants considèrent que c'est "maintenant ou jamais qu'il faut passer avec les moyens de bord", indique ce spécialiste du Maghreb contemporain dans un entretien vendredi au Figaro.
Pour ces migrants, explique-t-il, "le but absolu est de poser le pied en Europe afin de devenir inexpulsable en bénéficiant de la situation de candidat au statut de réfugié. Pour y parvenir, il faut franchir des barrières de six mètres couvertes de barbelés, ce que de jeunes gaillards agiles parviennent à faire avec quelques coupures, puis écarter la garde civile afin de poser un pied de l'autre côté du no man's land qui fait une quinzaine de mètres", ajoute-t-il.
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En réponse à une question sur l'attitude de l'État marocain à l'égard des clandestins d'Afrique subsaharienne, qui affluent sur son territoire dans l'espoir d'atteindre Sebta et Mélilia, Vermeren avance qu'après les attentats de 2003 (Casablanca) et Madrid (2004), "les deux pays ont trouvé un modus vivendi grâce aux subsides européens pour que le Maroc garde sa frontière. Des Subsahariens ont commencé à résider au Maroc", poursuit-il en soulignant toutefois que la politique africaine du roi Mohammed VI "impose de mieux respecter ces migrants, et le Maroc a annoncé en 2017 qu'il octroyait un permis de séjour à des milliers d'Africains, une première".
Cette décision royale, observe-t-il, a "immédiatement créé un appel d'air, de sorte que le Maroc est à nouveau débordé, et que cet été, il a à nouveau procédé à des expulsions vers le sud". L'historien estime que c'est aussi "pour empêcher des batailles rangées entre Marocains et migrants que Rabat procède à certaines expulsions ou relocalisations".
Compte tenu de l'essor démographique croissant de l'Afrique, dont la population est appelée à doubler d'ici 2050, les pays du Maghreb vont devoir absorber à l'avenir des millions de subsahariens supplémentaires, observe-t-il en insistant sur l'urgence pour les dirigeants de ces pays "de prendre des décisions". "La migration des Subsahariens en Europe passera immanquablement par le Maghreb", insiste-t-il. "Ou bien les pays du nord et du sud du Sahara trouvent un accord à l'amiable en tentant de contrôler réellement les flux. Ou bien le chaos qui prédomine au Sahel s'étend et obligera les États du Maghreb à monter la garde pour protéger la Méditerranée, et en premier le Maghreb; ou bien ces États, impuissants, se défausseront sur l'Europe et feront transiter des millions de migrants", considère l'historien.