Par un tour de passe-passe, l’adoption de la résolution 2797 du Conseil de sécurité de l’ONU est présentée, officiellement en Algérie, simultanément comme un désastre et un triomphe, un camouflet et un exploit.
Dans la même phrase, on pleure l’injustice et on s’autoproclame stratège; on dénonce la manœuvre en la revendiquant comme prouesse.
Le peuple, perplexe, se demande alors: Perd-on quand on ne gagne pas, ou gagne-t-on quand on s’abstient?
Les faits, rien que les faits: comme le précise le texte officiel de l’ONU, présenté par son porte-plume, les États-Unis: «Le Conseil appuie pleinement les efforts du Secrétaire général et de son Envoyé personnel pour faciliter et conduire les négociations en se fondant sur le plan d’autonomie proposé par le Maroc…».
La résolution, adoptée par une majorité claire, est qualifiée de «tournant» par plusieurs capitales. Onze voix pour, trois abstentions.
La souveraineté marocaine n’est plus une revendication: c’est une donnée. On ne négocie plus le si; on ajuste le comment.
Sauf pour celui resté sur le quai, occupé à discourir sur le départ du train… alors qu’il n’est déjà plus qu’un point à l’horizon.
Pour incarner cette fidélité obstinée à l’illusion, Monsieur Bendjama s’avance au pupitre, front grave, voix contenue, la mâchoire furtivement contractée dans un geste nerveux.
Il dénonce un texte «déséquilibré», ignorant, dit-il, les thèses du Polisario, «ne reflétant pas suffisamment» le droit à l’autodétermination, et pouvant éroder dangereusement l’un des piliers mêmes de l’ordre international si une telle approche venait à être reproduite dans d’autres zones de conflit.
Et surtout, il justifie le non vote d’Alger, au nom des sempiternels supposés grands principes.
L’autodétermination convoquée comme talisman, Woodrow Wilson cité comme oracle. Comme si le non vote était un acte philosophique, une posture d’État, une forme supérieure de courage diplomatique.
Une indignation si pure qu’elle refuse de se souiller dans un bulletin.
Mais enfin, si ce texte était si dangereux, si ce virage diplomatique était si inacceptable, si ce «cadre de négociation» était si périlleux, pourquoi ne pas avoir voté contre?
Certes, sur le plan protocolaire, ne pas voter peut sembler plus élégant que voter contre —une manière de préserver des canaux tout en désapprouvant. Mais la politique, elle, se mesure à la clarté des positions.
Comme pour embrouiller davantage, Ahmed Attaf entre en scène et récite sa version de la résolution 2797: celle qui, dit-il, n’entérine rien. Pourtant, le texte, noir sur blanc, érige le plan d’autonomie marocain en base des négociations.
En plateau, face à une caméra bienveillante, il peine à dompter les angles du réel.
Regard flottant, assurance vacillante, il nie la portée de la résolution, relativise sa signification politique, réinvente l’évidence pour sauver la doxa d’État.
Il célèbre ainsi la prorogation de la MINURSO, mais tait l’examen stratégique prévu dans six mois, qui pourrait en redéfinir le mandat.
Il parle d’autodétermination comme d’un horizon retrouvé, tout en niant que le texte la rattache au plan d’autonomie sous souveraineté marocaine, avant de la reconnaître, non pas comme un socle désormais consacré, mais en la réduisant à «quatre pages légères et un paragraphe».
Voilà donc l’argument. Comme si l’Histoire se mesurait à la pagination. Et la légitimité, au grammage du papier.
Puis vient la pirouette: «Nous étions à deux doigts de voter pour», concède-t-il —n’eût-été un paragraphe jugé malvenu sur la «souveraineté marocaine».
Deux doigts.
Une diplomatie au bord de l’assentiment, stoppée par une virgule jugée hostile.
L’Histoire retenue… par le bout de l’index.
Une déclaration qui contredit son propre déni, quelques minutes plus tôt, de toute référence à cette souveraineté dans la résolution.
Et soudain, la mémoire trébuche: l’an dernier, ce mot n’y figurait pas; et pourtant, déjà, Alger n’avait pas voté.
La logique chancelle; le récit se mord la queue.
Après cinq décennies de pari ouvert sur le Polisario, la digue diplomatique craque. Dans les rédactions alignées, on s’active. La liturgie officielle doit tenir, coûte que coûte.
Naît alors cette étrange musique, amère et triomphale à la fois: plainte et fanfare dans un même souffle.
Toujours ce même entre-deux.
On dénonce un texte «en deçà des attentes» tout en assurant qu’il ne bouleverse rien.
On s’indigne d’une «manœuvre occidentale», d’un «parti pris», d’une «pression américaine» —et l’on célèbre, en guise de victoire, le maintien du statu quo.
L’amertume suinte sous la ferveur. L’isolement, maquillé en principe, trahit une diplomatie à bout de souffle.
Et pourtant, du fond de l’abîme, résonne encore l’hymne triomphaliste. L’Algérie, dit-on, aurait «rééquilibré» le texte par sa vigilance, par sa noble abstention, par sa présence stoïque au banc des principes.
Des questions simples persistent: Si l’on invoque les principes, pourquoi les détourner pour justifier l’immobilisme? Pourquoi les oublier dès qu’ils effleurent le territoire national? Et si l’on revendique la neutralité, pourquoi cette rage jamais au repos?
À force de jouer l’offensé sans prendre ouvertement part, de se dire neutre en œuvrant l’inverse, d’invoquer le principe en guise d’alibi, on finit par ne plus parler à personne; sinon à son propre écho.
Et tandis que l’on s’épuise en dissonances et en contorsions verbales, le geste demeure: la main du Roi, tendue, paisible, claire, empreinte de noblesse, d’élégance et d’humilité.
Car, au-dessus du tumulte, subsiste l’essentiel.
Là où certains s’entêtent dans les divisions, on jette des ponts.
Là où l’on théorise l’abstention, on travaille, on agit, on propose des solutions.
Là où s’agite la diplomatie de l’outrance, se déploie celle de la retenue et de la vision.
Une nation ne se juge pas à ses cris, mais à ce qu’elle construit.





