La pause aura été de courte durée. On le croyait fini politiquement, mais Abdelilah Benkirane est de retour. C’est à se demander s’il a un jour quitté la zaâma (leadership) du Parti de la justice et du développement (PJD), où il n’occupe pourtant plus aucune charge officielle depuis qu’il a été éjecté du poste de secrétaire général, dimanche 10 décembre, à l’issue d’un 8e congrès qui a donné Saâd-Eddine El Othmani vainqueur des élections internes. Le mercredi 15 mars 2017, étant dans l’incapacité de former une majorité, il descendait également de charge en tant que chef du gouvernement. Deux jours plus tard, c’est le même El Othmani qui était nommé pour le remplacer par le roi Mohammed VI. Deux revers majeurs qui auraient mis fin à la carrière du plus téméraire des hommes politiques. Mais pas de Benkirane.
On aurait pu le croire laminé, car particulièrement en retrait pendant quelques semaines, la véritable bête politique qu’est Benkirane n’était plus cette durable tête d’affiche de la scène politique marocaine. Mais c’était mal connaître le personnage et sa capacité à rebondir. Il en a apporté la démonstration à l’occasion du 6e congrès national de la jeunesse du PJD qui s’est tenu le weekend des 3 et 4 février à Rabat. Le tout devant une direction du PJD et à un El Othmani qui donnaient l’impression de vivre un cauchemar, mais face à un auditoire acquis aux discours et à l’homme. Reprenant son ton satirique d’antan, Benkirane s’est interrogé sur la «voyante» qui aurait prédit au patron du Rassemblement national des indépendants, Aziz Akhannouch, une victoire électorale en 2021. Il est allé encore plus loin pour mettre en garde le président du parti de la Colombe contre les dangers du mélange entre fortune et pouvoir. Dans sa lancée, Abdelilah Benkirane a également attaqué l’USFP de Driss Lachgar, sans pour autant le nommer. «Nous sommes des monarchistes, mais pas des mokhaznis», a déclaré Benkirane. Cerise sur le gâteau, il a refusé l’hommage qui devait lui être rendu ce jour-là, signifiant que son temps est loin d’être révolu.
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Une heure durant, Benkirane a capté l’attention, distillé bien des messages, et surtout affirmé qu’il était encore de la partie. Conséquence directe: une absence des ministres RNI du dernier Conseil de gouvernement, une fragile coalition gouvernementale qui risque de se fissurer et, surtout, le lancement effectif d’une campagne électorale qui ne dit pas son nom en vue des prochaines législatives. Depuis, les ténors du PJD multiplient les réunions avec la majorité et les déclarations critiquant la sortie de l’ancien chef du gouvernement. Mais le mal est fait.
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Mais techniquement, Benkirane a-t-il encore des chances de revenir sur la scène politique marocaine? «Benkirane peut tout à fait revenir. Il lui suffit d’une trêve d’un seul mandat, comme c’est le cas actuellement, et il peut librement se porter candidat pour prendre la tête du secrétariat général», nous affirme Driss Al Azami El Idrissi, membre du Conseil national du PJD . Cela s’est déjà produit avec El Othmani qui a été secrétaire général du PJD en 2004-2008 et qui a signé son retour à la tête du parti à l’issue du dernier congrès. Benkirane compte pour cela sur le large soutien de la Jeunesse de ce parti et qui voit toujours en lui un vrai meneur qui adopte, qui plus est, la posture du rebelle. L’ancien chef du gouvernement peut tout aussi bien…créer son propre parti. «Mais l’option paraît peu probable, le PJD ayant fermement l’intention d’aller aux prochaines élections de 2012 en rangs serrés. N’oublions pas qu’en face, un parti comme le RNI affiche clairement son intention de devenir la formation politique numéro 1 du paysage politique marocain et cela, nos militants en sont conscients», nous déclare cette source proche du parti de la Lampe.
Serait-ce assez pour expliquer la sortie tambour battant de Benkirane contre Akhanouch? «Oui, mais pas seulement. En s’attaquant de la sorte au président du RNI, le leader islamiste signifiait au RNI que la bataille des législatives sera rude et que même affaibli par les compromis consentis la veille de la formation de l’actuelle majorité, le PJD reste un parti politique fort. Par une telle prise de position, Benkirane se voulait également le porte-voix de la majorité silencieuse au sein du parti, ce qui ajoute forcément à sa popularité en tant que figure de l’opposition, y compris parmi les siens», explique notre source. Étonnamment, les dates des Législatives tomberont l'année où le congrès du PJD devra élire un nouveau secrétaire général, soit en 2021. Tout porte à croire que ce rendez-vous interviendra avant le scrutin. Et c’est là que tout prend sens.