Retraites: le gouvernement dos au mur

Mustapha Sehimi.

Mustapha Sehimi.

ChroniqueLe gouvernement annonce enfin qu’il va s’atteler à la réforme des caisses de retraite. Il était temps! Faut-il rappeler qu’il n’y a eu aucune avancée dans ce dossier depuis la formation de ce cabinet en octobre 2021?

Le 09/01/2025 à 10h00

Dressant le bilan des 100 premiers jours de son cabinet, le 19 janvier 2022, Aziz Akhannouch avait fait ce constat alarmiste: «Le régime des retraites risque de connaître un effondrement total en 2028». Depuis, rien de bien nouveau. Il a fallu attendre une réunion à la primature, le 19 mars 2024, pour que le chef de l’exécutif se penche sur l’examen des scénarii d’une réforme. Puis la semaine dernière, Nadia Fettah Alaoui annonce que le gouvernement présentera au début de cette année des propositions en la matière. À noter au passage que le comité ad hoc qu’elle préside dans le cadre du dialogue social sur la réforme des retraites n’a pas beaucoup avancé, avec des suspensions de plusieurs mois…

Sur la table, il faut rappeler les contraintes de l’état des lieux, afin de mieux appréhender les difficultés et les enjeux en discussion. Un risque global pèse de tout son poids: celui de l’épuisement à terme des réserves globales, même si cette situation se décline différemment pour chacune des caisses de retraite. Ainsi, la Caisse marocaine des retraites (CMR) a accusé un déficit technique de 9,8 milliards de dirhams (MMDH) en 2023 et il est prévu son aggravation en 2024. En 2022, il avait été de 1,4 MMDH et de 4 MMDH en 2021, sauf à préciser que l′État avait injecté 2 MMDH au titre d’une contribution spéciale dans la loi de finances. Le constat est là, dressé par toutes les études actuarielles: l’année 2028 verra l’épuisement des réserves de cette caisse. Tout aussi préoccupante est la situation du Régime collectif d’allocation de retraite (RCAR), géré par la CDG. Les enseignants des Académies régionales d’éducation et de formation (AREF) y cotisent désormais. D’où l’aggravation du déficit technique de ce régime, de 3,3 MMDH en 2021, 4,1 MMDH en 2022 et 4,7 MMDH en 2023.

La CNSS est quant à elle sous forte pression. Cela tient notamment à l’augmentation des pensions de retraite en décembre 2022, avec au surplus une régularisation rétroactive au 1er janvier 2020. Les prestations servies ont atteint 28,6 MMDH en 2023, contre 26 MMDH en 2022, tandis que les cotisations mises en recouvrement se sont élevées à 30,8 MMDH, en hausse par rapport aux 28 MMDH de l’exercice 2022. Pour autant, les réserves pourraient devenir négatives à terme, notamment en raison de l’accroissement du nombre de bénéficiaires et du déséquilibre démographique (population vieillissante, augmentation de l’espérance de vie). De ce fait, les prestations servies ont enregistré une hausse de 21%, alors que la collecte des cotisations n’a progressé que de 0,6%. Cette branche a un déficit technique de 200 MMDH, alors qu’en 2021, son excédent était de 2,5 MMDH. Les produits financiers ont permis à cette branche de contribuer à un excédent global de 1,5 MMDH. Les réserves actuelles ne suffisent à la couverture des déficits anticipés que jusqu’à l’horizon 2038.

Seule la Caisse interprofessionnelle marocaine des retraites (CIMR) connaît une situation positive. Elle affiche des résultats financiers solides, et consolide ainsi sa capacité à assurer la pérennité du régime de retraite pour ses affiliés: 4,3 MMDH de solde technique en 2023 (+ 14%), excédent d’exploitation de 7,38 MMDH, provisions techniques de 84,42 MMDH (+ 9,6%) et portefeuille de placements estimé à 91,75 MMDH au 31 décembre 2023. Le schéma prévisionnel et les projections actuarielles s’inscrivent dans ce trend haussier. Cela tient sans doute à l’impact d’une réforme entreprise, voici une vingtaine d’années, mais aussi au recrutement de nouveaux cotisants travailleurs non-salariés, professions libérales, artisans, commerçants et autre indépendants. À la date du 26 septembre 2023, le nombre total des cotisants était de 3.857.601 personnes, incluant les assurés principaux, leurs conjoints et enfants. Pour 2024, les chiffres provisoires dépassent les 4,3 millions de personnes.

«Faute d’avoir pu -ou su- entreprendre la grande réforme du système de retraite en 2022, 2023 et 2024, le gouvernement n’a d’autre choix que de prioriser cette année ce chantier social.»

Que faire? Il sera difficile de se limiter à des demi-mesures comme en 2016. Depuis huit ans, les réformes paramétriques, qui ont porté principalement sur le régime des pensions civiles et militaires de la CMR, n’ont pas donné les résultats escomptés. Il en est de même pour le RCAR. Sur la table, les pistes de réforme ne manquent pas. Le rapport de la Cour des comptes a fait, entre autres, cette proposition: à long terme, un régime unique et un système bipolaire -public, avec la CMR et le RCAR d’un côté, et privé, avec la CNSS et la CIMR de l’autre- dans le cadre d’une transition. Une réforme «systémique» donc. Les recommandations d’une réforme «paramétrique» viennent, elles, de divers côtés.

Tant la Cour des comptes que Bank Al-Maghrib insistent sur le coût financier de la situation actuelle: chaque année de retard coûte quelque 20 MMDH au régime de la CMR. C’est dire l’urgence d’une nouvelle politique dans ce domaine pour arriver, à terme, au rétablissement de l’équilibre et à la pérennité financière des régimes des caisses de retraite. L’approche doit être globale, combinant plusieurs paramètres: âge de départ à la retraite, cotisation et mode calcul de la pension. Une feuille de route serait donc à l’ordre du jour. Elle doit fixer différents objectifs: les principes, la gouvernance, le calendrier, les engagements des parties, le financement global de la couverture sociale, etc.

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a lui aussi planché sur ce dossier par auto-saisine. Il appelle à une réforme structurelle et globale du système de retraites. Il a proposé ce qui suit: un échéancier sur les étapes, une mise à jour des études actuarielles et des réformes paramétriques pour assurer la pérennité des régimes avec à terme deux pôles, et un accompagnement juridique et réglementaire visant la convergence des régimes. Il y ajoute l’objectif de l’instauration d’un régime national de retraite unifié (un régime obligatoire de répartition avec les actifs des secteurs public et privé ainsi que les non-salariés), un régime complémentaire obligatoire contributif pour les revenus supérieurs au plafond, et un régime individuel facultatif en capitalisation sur la base d’une assurance privée, à titre individuel ou collectif.

D’autres préconisations sont également mises en avant: gouvernance et pilotage des risques, prise en compte des capacités de financement participatif des employeurs et des affiliés, préservation du pouvoir d’achat et révision de la politique de placement des fonds de réserve pour plus d’optimisation. Les dépôts auprès de la CDG, maigrement rémunérés, à autour de 3%, sont des actifs constitués de titres obligataires (57%), d’actions (33%) et de placements immobiliers (7%).

Aujourd’hui, le gouvernement ne saurait sans doute céder de nouveau à l’affichage, en évacuant cette problématique de fond: celle d’une réforme profonde des régimes de retraite. La perspective va au-delà d’un accord a minima sur des données seulement paramétriques. Elle doit s’inscrire dans la ligne de construction d’un système global de couverture sociale. Qu’est-ce que cela implique en substance? Des exigences d’équité sociale, des rééquilibrages au profit des populations à faible revenu, un dialogue social institutionnel et continu et non intermittent, une veille constante de la pérennité du système de retraite, une évolution vers le respect du principe de juste tarification… Faute d’avoir pu -ou su- entreprendre cette grande réforme en 2022, 2023 et 2024, le gouvernement n’a d’autre choix que de prioriser cette année ce chantier social. Une réforme contrainte, dos au mur...

Par Mustapha Sehimi
Le 09/01/2025 à 10h00