La volte-face est de celles dont seule l’Algérie du duo Tebboune-Chengriha a le secret. En plus d’être une insulte éhontée aux règles diplomatiques les plus élémentaires, elle en dit (là encore) long sur un régime qui fonctionne, ou pas, à hue et à dia. Imaginez une visite officielle, programmée depuis fort longtemps et portant une forte charge symbolique, puisque supposée tourner la page de deux années de conflit plus ou moins ouvert entre deux pays, qui se retrouve annulée moins de 12 heures avant d’avoir effectivement lieu.
Il en est allé ainsi du déplacement que le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, devait effectuer à Alger ce lundi 12 février. Coup de théâtre: l’Algérie, dont le «chef» de la diplomatie Ahmed Attaf en avait pourtant formulé la demande, a décidé du report sine die de cette visite.
Des motifs «factuels» de ce report, on ne saura rien, la diplomatie algérienne se bornant tantôt à suggérer un souci d’«agenda», tantôt à prétendre, à tort, que c’est l’Espagne qui serait à l’origine de cet ajournement. Une thèse fallacieuse, colportée notamment par un certain Ignacio Cembrero, ancien correspondant espagnol à Rabat, érigé en propagandiste en chef du régime algérien. «Le chef de la diplomatie reporte sine die son voyage à Alger lorsqu’il apprend que le président Tebboune ne le recevra pas en audience. Après 20 mois de crise, la réconciliation Espagne-Algérie n’est pas encore terminée», écrit-il, la main sur le cœur, sur X (anciennement Twitter).
Sauf qu’il n’en est strictement rien, et c’est bien la «diplomatie» algérienne qui est responsable de ce qui s’apparente à une annulation pure et simple, due à un de ces coups de sang qui font office de politique d’État chez le voisin. Une décision à rebours des annonces diverses et variées du régime algérien, qui ne cessait de crier à la réconciliation entre Madrid et Alger, à la faveur d’un changement imaginaire de la position espagnole sur la question du Sahara.
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Ubuesque, la sortie d’Ahmed Attaf en décembre dernier, sur la plateforme de podcasts Al Atheer du groupe de médias qatari Al Jazeera, est encore dans les mémoires. Les yeux dans les yeux, face à Khadidja Bengana, journaliste algérienne -au demeurant porte-voix du régime dans le monde arabe, le ministre algérien des Affaires étrangères a juré par tous les saints que l’Espagne a changé sa position «à 180 degrés». «Ce qui a donné le feu vert à la réévaluation de nos relations avec l’Espagne, c’est le discours prononcé par Pedro Sanchez à l’Assemblée générale des Nations unies et il a changé de position», a-t-il déclaré sans ciller. Or, le Chef du gouvernement espagnol n’avait fait que préciser que la (nouvelle) position de son pays était conforme à celle de l’Union européenne et au processus de l’ONU, visant à parvenir à une solution politique, juste, durable et mutuellement acceptable, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité.
Face au wishful thinking de la junte, il y a les faits. Non seulement Madrid n’a pas changé d’un iota son soutien ferme et définitif au plan d’autonomie marocain, mais aux positions se sont joint les actes. L’annonce de l’ouverture d’un hôtel espagnol à Dakhla et celle d’une antenne de l’Instituto Cervantes, émanation de la diplomatie culturelle espagnole, à Laâyoune, sont des exemples parmi tant d’autres. Après s’être persuadé du contraire, Alger a fini par se résoudre au fait qu’un rapprochement avec Madrid ne peut se faire au détriment de la dynamique solide du partenariat entre le Maroc et l’Espagne, et encore moins au prix d’une décision d’État, irréversiblement favorable à la marocanité du Sahara.
Alger a eu beau jouer aux plus fins, en tentant un rapprochement graduel avec Madrid depuis la crise diplomatique qu’elle a enclenchée en mars 2022, avec le rappel de l’ambassadeur algérien à Madrid, le gel du Traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération et la suspension de ses relations commerciales, en réaction à l’alignement de l’Espagne sur le Maroc s’agissant de son Sahara. Elle voudrait même que les pertes pour l’économie espagnole culminent à 2,3 milliards de dollars des suites de ces «représailles». Et le déplacement d’Albares devait symboliser le début d’une nouvelle étape de dégel, précédée par la désignation, à la mi-novembre 2023, d’un nouvel ambassadeur à Madrid (Abdelfetah Daghmoum en remplacement de Saïd Moussi), l’autorisation de certaines importations et la réouverture de lignes aériennes entre Alger, Madrid et Barcelone.
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À l’évidence, Alger n’a absolument rien obtenu en contrepartie. Et si le régime voisin a tout misé sur un changement de la posture politique de l’Espagne sur le Sahara, Madrid n’a jamais caché que la finalité de la reprise de ses relations avec le voisin de l’Est avait des motivations bilatérales et ne concerne pas un dossier supposé être étranger à l’Algérie.
La relance devait être d’abord économique, l’Algérie ayant un besoin vital des denrées alimentaires et biens de première nécessité importés depuis l’Espagne. D’ailleurs, au cours de sa visite, José Manuel Albares devait s’entretenir avec des représentants d’entreprises espagnoles en Algérie. Mais cela, Alger refusait jusqu’ici de le voir. Et comme d’habitude, c’est une fois confronté au réel que le régime en place a commencé à s’agiter, n’ayant sans aucun doute pas obtenu la phrase attendue dans le communiqué conjoint qui devait sanctionner cette visite. La phrase tant attendue, celle qui guide l’orientation de la politique intérieure et extérieure du régime d’Alger, est celle supposément hostile à l’intégrité territoriale du royaume du Maroc. Nada! Aucun changement à l’horizon, pas même sous forme d’une formulation ambiguë mendiée pendant des jours par un régime qui cherche à mettre une petite pause à sa séquence interminable d’échecs.
Parler d’«échec espagnol» pour justifier l’annulation de cette visite prouve, une fois de plus, cette anomalie pathologique du régime d’Alger, qui considère ses relations bilatérales avec d’autres pays à l’aune de l’intégrité territoriale du Maroc. Voilà qui est un comble, surtout venant d’un pays qui se revendique «simple observateur» dans la question du Sahara. Plus sérieusement, entre le reset voulu par la junte sur le dossier et sa logique de destruction et d’isolement du pays, il y a naturellement un écart que les cadres actuellement à la tête du pouvoir algérien ne pourront jamais combler. La preuve.