Le Maroc a-t-il contribué à recadrer le concept d’aide internationale d’urgence à travers la sélectivité qu’il a opérée dans la multitude des «aides» qui lui ont été proposées? Les milieux diplomatiques et la presse internationale se dirigent vers ce constat. Interrogatifs au début, voire réprobateurs pour certains quant à l’attitude du Maroc, il semble maintenant qu’ils ont pris la mesure et le sens des choses, efficacité des Marocains sur le terrain oblige, en admettant que l’aide d’urgence ait beaucoup perdu de ses qualités premières, à savoir la neutralité, l’impartialité et l’indépendance.
Plusieurs expériences vécues ces vingt dernières années ont montré que cette aide s’est éloignée de l’efficience nécessaire pour se muer en voyeurisme et moyen de collecte de renseignements sur place, voire en instrument visant à satisfaire une opinion publique internationale avide d’images courtes et sensationnelles qui la rassure sur ses qualités de «sauveur».
La réjouissance publique manifestée par Condoleeza Rice, Secrétaire d’État américaine (de 2001 à 2005) après le séisme de 2004 en Indonésie, parce qu’il allait permettre à l’occident de «remettre pied» dans ce pays fermé à travers l’aide humanitaire, en dit long sur le pragmatisme et le réalisme de la diplomatie «moderne».
Autres questionnements: avons-nous perdu au change en limitant l’accès aux secours d’urgence? Notre «souverainisme» nous a-t-il coûté des vies humaines qui auraient pu être sauvées grâce à la présence d’un nombre plus important de brigades cynotechniques? Qui peut répondre de manière tranchée à cette question, sachant que lors des premiers jours après séisme s’est posée prioritairement la problématique de l’accès aux douars et que l’essentiel des sauvetages a été le fait d’une population qui a survécu et a accompli in situ un travail héroïque?
À défaut d’une réponse plausible, posons la question de la gouvernance globale de la catastrophe. Le Maroc a-t-il géré convenablement la première partie de cette terrible épreuve? D’après la déclaration de Martin Griffiths, adjoint du Secrétaire général de l’ONU, chargé des affaires humanitaires et de la coordination des secours, orfèvre dans le domaine, au vu du nombre d’expériences traitées, le Maroc a été plus que bon dans toutes les phases. Certes, il a pointé une coordination à parfaire, mais n’ayant pas participé aux opérations, pouvait-il dire autre chose? C’est dans la culture de cette organisation. Devons-nous nous contenter de cette déclaration?
Permettez l’ajout d’autres questions qu’impose la gestion de toute catastrophe et que nous, Marocains, devons nous poser à nous-mêmes sans interpellation externe. Avons-nous assisté dans les zones sinistrées à des pillages, des viols, un début de famine, des maladies, un débordement du système de santé ou une mauvaise gestion des personnes déplacées? La réponse est négative et la situation est sous contrôle. La disponibilité d’un appareil d’État conforme aux standards internationaux, grande réalisation du règne du roi Mohammed VI, fonctionnant efficacement et jouissant de la confiance de la population, est confirmée dans ce nouveau test après celui de la gestion de l’épidémie du Covid-19. Quant au peuple marocain, il demeure fidèle à sa nature forgée à travers une longue histoire: fier, courageux, généreux et solidaire.
Abordons dans ce qui va suivre la seconde phase, à savoir la reconstruction. Phase d’une importance extrême pour les populations sinistrées certes, mais aussi pour l’ensemble de notre pays qui est appelé à démontrer l’étendue de sa solidarité réelle et dans la durée en premier lieu, et ensuite sa capacité à agir vite et bien en sachant mobiliser les moyens humains et matériels, pour que le rendu, à la fin, soit meilleur que la situation antérieure dans la région.
Avant toute chose, éloignons les discours catastrophistes parlant d’un recul du PIB de l’ordre de 8 à 9%. Ce sont des projections basées sur des séismes ayant frappé des zones urbaines dans d’autres pays (Turquie) et ayant détruit des villes modernes équipées d’infrastructures complexes, avec des immeubles à étages, des usines, des hôtels et des activités commerciales. Les conséquences sur la vie humaine, l’économie et l’environnement sont d’une autre dimension en comparaison avec le séisme d’Al Haouz, qui a frappé essentiellement un espace rural, causant certes trop de victimes, mais des pertes en patrimoines économiques, hors logement, pas très importantes, parce que modestes à l’origine (élevage, arboriculture et artisanat). Le principal impact à craindre serait une baisse de l’activité touristique à Marrakech et ses environs. Or, toutes les expériences précédentes ont montré que dans les zones touristiques ayant connu un séisme, même celles frappées par des tsunamis, donc encore plus durement, la reprise de la fréquentation a été rapide et à des niveaux supérieurs (Indonésie, Thaïlande, Népal…), à condition que la reconstruction se déroule dans les conditions requises.
Toutes les publications des organismes des Nations unies qui ont accompagné les reconstructions à travers le monde insistent sur la rapidité d’initier les travaux de reconstruction (le roi Mohamed VI a déjà donné ses instructions en ce sens), et aussi sur la nécessité de faire participer la population sinistrée aux travaux sous forme de main-d’œuvre ou autre, de préserver le patrimoine architectural et l’identité de la zone, de sauvegarder les écosystèmes économiques et environnementaux et d’apporter une attention particulière aux montages financiers.
En termes politiques, les recommandations des Nations unies pourraient être traduites, pour les zones sinistrées chez nous, en: réactivité; aménagement du territoire qui chevauche le Haut Atlas de Marrakech à Taroudant; création et amélioration de l’écosystème mêlant tourisme de montagne, activité agro-pastorale, arboriculture et artisanat. Pour l’architecture, inutile de rappeler la nécessité de préserver le cachet culturel de la zone, tout en respectant les normes antisismiques (cela a été dit par ailleurs). En termes administratifs, ce projet impliquera deux régions: Al Haouz et Souss-Massa, qui devront l’inclure dans leurs «Projet de développement régional». Pour le financement, le recours aux dons privés nationaux et étrangers est à privilégier, car il permet une injection d’argent frais capable de régénérer l’activité économique sans impacter les finances publiques ni l’endettement.
La manière dont sera transformée la vision royale en plans d’action par les exécutifs (nationaux et régionaux) dans ce projet déterminera l’impact en termes de pertes ou gains de points de croissance. Inutile de verser dans un fatalisme cher à une certaine élite politique.
Un dernier mot sur l’image du Maroc à l’étranger, suite à l’approche adoptée en matière de gestion des séismes. Elle en sort fortement améliorée. Ceci, on s’en doute, renforcera notre soft power en Afrique et à travers le monde, avec des retombées positives sur d’autres dossiers. À nous de réussir également la reconstruction. Nous le devons à cette valeureuse population d’Al Haouz et du Souss, nous le devons au Maroc.