Le 12 janvier 2023, la Conférence des présidents de groupes parlementaires européens a donné son accord pour que soit soumise, lors de la séance plénière du 19 janvier, une résolution sur la liberté de la presse au Maroc, afin d’évoquer le cas de journalistes emprisonnés, notamment celui d'Omar Radi.
A noter que l’arrivée de cette résolution au sein de l’hémicycle européen a été précédée par un débat en séance plénière sur «les nouveaux développements des allégations de corruption et d’ingérence étrangère, y compris celle concernant le Maroc», en référence au Qatargate et à ce que certains s’empressent de nommer «Maroc Gate». Certains eurodéputés espèrent transformer le scandale de collègues corrompus en procès contre l’ingérence étrangère dans les institutions européennes.
Le timing n’est donc pas anodin, mais il n’en est pas moins criant d’injustices, surtout pour les victimes des trois journalistes emprisonnés au Maroc sur fond d’affaires de mœurs Omar Radi, Soulaimane Raissouni et Taoufik Bouachrine, érigés en victimes du Maroc en matière de liberté d’expression.
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Si tous ont fait l’objet d’enquêtes et de procès équitables, le Parlement européen n’en a visiblement cure. Décidée à blanchir sa réputation dans le scandale de corruption qui l’entache et à en découdre avec le pays arabe qui était jusqu’à présent son principal allié, l'institution a aussi décidé de violer une deuxième fois les victimes.
La lettre ouverte de Hafsa Boutahar au Parlement européen, une bouteille à la mer?Hafsa Boutahar, la victime d'Omar Radi, a écrit une lettre ouverte aux parlementaires européens à la veille du vote de leur cynique résolution. Elle s’y présente en des mots simples, elle la «journaliste marocaine» qui souhaite «attirer l’attention des personnes intéressées par (son) affaire sur des faits (qu’elle) considère gravissimes, à savoir le déni total et délibéré qui entoure (son) cas, à l’opposé de (son) violeur Omar Radi, dont tout le monde soutient l’innocence malgré les faits avérés et prouvés lors du procès».
La jeune femme rappelle –fallait-il qu’elle le fasse encore– les faits, opposant son violeur à l’image qui en est brossée par ses soutiens qui l’érigent «au rang de militant et défenseur des droits de l'homme».
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Et de livrer une supplique qui, espère-t-on, ne restera pas lettre morte: «C’est un choc brutal, une profonde blessure que j’ai ressentie lorsque mes nombreux soutiens m’ont fait savoir qu’ils avaient appris, par voie de presse, que le 19 janvier 2023, mon violeur serait présenté devant une institution européenne qui se respecte comme une victime d’un déni de justice et que sa condamnation ne serait qu’une erreur de justice.»
Elle interroge: «De quelle erreur parle-t-on? Pourquoi un violeur serait-il récompensé au détriment de sa victime? Pour quelle raison mon statut de victime est dénié, ma voix de femme violentée est étouffée, et ma souffrance ignorée?»
Femme et journaliste, l’équation impossible pour être considérée comme victime?Alors que répondre à cette jeune femme dont la parole a été non seulement réduite au silence par les ONG droit-de-l'hommistes, mais aussi désormais par le Parlement européen, qui ont ainsi choisi de lui coller impunément l’étiquette d’intrigante à la solde du pouvoir.
Lahcen Haddad, président de la Commission parlementaire mixte Maroc-UE, n’a pas tardé lui aussi à exprimer son indignation à cette annonce dans une lettre adressée aux eurodéputés, au nom des membres marocains de cette Commission. Dans sa lettre, celui-ci a rappelé que la plaignante est elle-même journaliste. Que faut-il comprendre dans cette résolution qui traite du sort des journalistes victimes du régime marocain? Est-ce son sexe féminin qui ne permet pas à la jeune femme d’accéder au statut de journaliste, elle aussi victime? A moins que ce ne soit la profession de son violeur qui la décrédibilise? Mais depuis quand un journaliste est-il d’office blanchi de toute atteinte à la loi et aux mœurs?
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Les parlementaires européens qui semblent aujourd’hui visiblement prêts à en découvre avec le Maroc, coûte que coûte, oublient-ils les scandales de mœurs dans lesquels sont impliqués des journalistes de leurs pays respectifs sans pour autant que ceux-ci soient inquiétés par la justice? Que reproche-t-on au Maroc exactement? D’avoir fait valoir le droit des victimes, chose que n’a pas fait notamment la France dans le cas de Patrick Poivre d’Arvor ou Eric Zemmour? On marche littéralement sur la tête.
En refusant la parole à la victime, le Parlement européen désavoue les femmes victimes de violencesOn ne peut qu’espérer que les parlementaires européens pourront apporter des éléments de réponses à ces questionnements justifiés, sans quoi, ce serait une véritable gifle assénée aux femmes victimes de violences, surtout quand elles sont perpétrées par des hommes puissants.
«Quel combat, justement, sera-t-il enseigné aux femmes violées dont cette initiative serait une initiation aux valeurs humaines s’il sert alors à fouler du pied le martyre des femmes outragées par leurs bourreaux et stigmatisées par les acteurs censés les défendre, les protéger et leur rendre justice?», poursuit Hafsa Boutahar.
Pour elle, l’annonce de cette résolution est ressentie comme «une nouvelle souillure, un autre déni de ma condition de femme victime que de voir cet imposteur fort de ses appuis blanchi de tous ses méfaits, se faufiler ainsi aux institutions internationales grâce au soutien inconditionnel de certaines ONG et personnes qui ont fait d'Omar Radi leur ‘carte’ pour régler leurs comptes politiques avec le Maroc».
«Quelle triste ironie, ne trouvez-vous pas?», poursuit-elle, demandant s’il serait «concevable qu’un prédateur sexuel soit ainsi honoré par les pays des droits de l’homme?».
Et d’interpeller à nouveau les parlementaires européens à la veille de leur réunion au sein de l’hémicycle: «Devrais-je comprendre que la parole d’une femme d’un pays étranger puisse être aussi inaudible en Europe? Serez-vous de ceux qui participeront à l’escamoter?» Une vraie question qui mérite une vraie réponse car on ne peut impunément piétiner les droits des femmes non européennes, d’autant quand l’appareil judiciaire de leur pays leur a rendu justice.
Concluant sa lettre ouverte sur une note d’espoir dans laquelle elle souhaite encore croire, et à laquelle elle s'accroche de toutes ses forces: «Je suis certaine que mon cri de détresse ne sera pas étouffé, et je crois encore que vous aurez la bonne grâce de m’entendre et de réagir en conséquence. La justice n’a pas encore dit son dernier mot, certes, mais l’écoute d’une victime est une priorité dans ce genre d’affaires. Les cas en Europe et ailleurs que le formidable mouvement mondial #MeToo a servi à libérer de l’épouvantable, pesant et infâme secret en ont suffisamment prouvé l’impérieuse nécessité.» Les eurodéputés lui accorderont-ils ne serait-ce que le droit à la parole?