Tandis qu’à Paris, les officiels rouspètent, à Pretoria, Lavrov est accueilli à bras ouverts. En effet, au Quai d’Orsay, on voit cette tournée d’un très mauvais œil, en raison notamment du terrain gagné par Moscou dans plusieurs pays d’Afrique (Mali, République centrafricaine, Burkina Faso...) au détriment de Paris, dont la zone d’influence se rétrécit comme peau de chagrin dans la région. Considérée par la France comme un pré carré hérité de l’époque coloniale, l’Afrique du Nord et de l’Ouest en particulier semble s’ouvrir par un effet de vases communicants pas seulement à la Russie, mais aussi au Maroc, à la Turquie, à la Chine et à d’autres puissances qui entendent bien profiter de cette opportunité géopolitique.
Mais avant tout, il est utile de rappeler que cette nouvelle dynamique a été rendue possible principalement grâce aux luttes menées par ces pays africains pour accomplir leur souveraineté.
Une lutte pas toujours militaire, car également politique, économique et intellectuelle, qui réclame du courage et de l’audace. Deux qualités dont sont amplement munis les peuples de la région, dont le nôtre. Courage, car traditionnellement, l’Etat français –qu’il faut toujours distinguer du peuple français– s’est toujours maintenu dans la région à travers des chantages politiques ou économiques (franc CFA, dette, aides…), à travers des coups d’Etat et des assassinats (Sankara par exemple) ou encore par le maintien de groupuscules criminels dans la région, tout en prétendant les combattre.
Les «musiciens», comme on les surnomme, du groupe militaire privé russe «Wagner» ont apporté la preuve empirique, au Mali et en Centrafrique, que quand on veut réellement éliminer ces groupuscules, il est possible d’y arriver en y mettant un peu du sien.
Ainsi, là où l’hégémonie française dans la région se traduit par un déficit de souveraineté pour les pays concernés, la présence et le soutien du Maroc, et dans une moindre mesure de la Russie, s’expriment au contraire par un renforcement de leurs souverainetés. Car s’il y a bien un point en commun entre le Maroc et la Russie, c’est leur condamnation de toute forme d’ingérence et de non-respect de la souveraineté des Etats. Rappelons à ce propos que le Parlement européen a fait preuve, à nouveau, d’une arrogance inacceptable en osant empiéter sur la souveraineté juridique du Maroc. Chose à laquelle le Maroc a répondu comme il se doit.
Peut-être même que cette visite de Lavrov pourrait nous être utile dans la mesure où elle permettrait de rappeler à nos voisins européens que le monde est vaste, et que les options stratégiques à la disposition du Maroc sont nombreuses.
Ainsi, par-delà le renforcement des relations économiques et commerciales avec la Russie, cette visite pourrait avoir pour principal objectif, côté marocain, de confirmer cette grande orientation adoptée depuis quelques années. Une orientation qui prend la forme d’une diversification stratégique assumée, qui annonce le positionnement du Maroc dans le monde d’après, dans un monde de plus en plus multipolaire.
Le Maroc rappelle ainsi qu’il n’est pas et ne sera jamais le vassal de quiconque, mais un partenaire sérieux et fiable qu’il faudra, pour les Européens, apprendre à respecter. Et comme disent les Russes: «Si tu ne sais pas, on t’apprendra. Si tu ne veux pas, on t’obligera!».