Bled Siba

Karim Boukhari.

ChroniqueAu Maroc, le taxi rouge est le dernier (ou l’un des derniers) représentant de ce pays Siba qu’il va bien falloir «pacifier». Et avant 2030, si possible!

Le 07/12/2024 à 08h58

Il faut toujours faire attention aux faits divers. C’est la première rubrique que les grands de ce monde lisent quand ils s’intéressent à une société ou à un pays donné. Parce que le fait divers vous livre tout de suite, sans filtre, c’est-à-dire sans idéologie, l’état de la société et du pays en question.

Les écrivains et les cinéastes aussi dévorent cette rubrique, littéralement. Ils savent combien elle est à la fois précieuse et croustillante.

Le fait divers dit du «Russe» n’a pas dû échapper à la vigilance de ce beau monde. Je vous le raconte en bref: un VRP russe, en mission officielle au Maroc, a décidé de prendre du bon temps et de découvrir la vie nocturne casablancaise. Fuyant les officialités, il a fait appel au service de covoiturage appelé InDrive pour une belle échappée dans le «vrai Maroc», accompagné de son épouse.

Soudain, l’imprévu. Le VTC qui transporte le couple est victime d’un braquage digne des films de gangsters. Un taxi rouge, bientôt rejoint par d’autres, viennent l’immobiliser. Vous pouvez imaginer la suite: une partie des protagonistes finit aux urgences, l’autre au poste de police.

Ce fait divers est banal, dans le sens «courant et habituel», parce que cela fait un moment que les taxis rouges «braquent» des voitures appartenant à la concurrence. Beaucoup de citoyens marocains ont vécu ce cauchemar, ils portent encore les traces du traumatisme…

Ce qui change aujourd’hui, c’est que les «citoyens» victimes ne sont pas marocains mais russes, en plus d’être des VRP. Tant mieux, finalement, parce que cela jette une lumière extraordinaire sur le phénomène. Et cela oblige l’Etat marocain à prendre le taureau par les cornes, enfin…

Ce qui se passe à l’intérieur de cette corporation a, depuis longtemps, franchi les limites du tolérable. Le petit taxi rouge marocain vit dans un monde à part, digne du fameux Bled Siba.

En plus de braquer et de casser la concurrence, dans le sens littéral du terme, les petits taxis donnent l’impression, par ailleurs, de n’obéir à aucune loi, ou alors celle de la jungle. Ils refusent les courses qui ne leur plaisent pas, marchandent à la tête du client, éteignent le compteur pourtant obligatoire, entretiennent mal leur véhicule et leur hygiène, etc.

En bref, ils font ce qu’ils veulent, au mépris de toutes les lois et de toutes les convenances. Ils constituent un anachronisme. Qui les arrêtera?

Bien sûr, à leur décharge, et pour justifier leur comportement de justiciers et de rebelles du Bled Siba, ils rappellent un certain nombre d’arguments, dont deux sont justes et recevables. Les tarifs appliqués restent bas, et l’essentiel des recettes revient à «Moul chkara». En effet.

Il faut savoir qu’au Maroc, beaucoup de taxis roulent pour le compte de propriétaires d’agréments (certains en accumulent des dizaines!), qui récupèrent l’essentiel de la recette sans bouger le doigt. C’est un système féodal, esclavagiste, totalement injuste.

En attendant de changer ce système mafieux, une partie des petits taxis adoptent un comportement de voyous et de hors-la-loi pour défendre leur pré carré. Ils se croient légitimes. C’est ce que l’affaire dite du «Russe» vient de révéler au grand jour.

Le gouvernement Akhannouch doit prendre le taureau par les cornes. Il faut assainir ce secteur vital, dont la réalité est de plus en plus en décalage dans un pays qui se veut «eldorado» touristique, bientôt hôte d’une Coupe du monde. Il faut être à la hauteur. Et on en a les moyens.

Par Karim Boukhari
Le 07/12/2024 à 08h58