Je bavardais lundi dernier avec un petit groupe de doctorants, après un séminaire dédié à un tour de passe-passe algorithmique récemment inventé par un jeune chercheur. Passa alors au loin le professeur N., le cartable à la main, de son pas un peu hésitant, perdu dans ses pensées, un peu voûté, se dirigeant vers la cafétéria.
Les étudiants éprouvent beaucoup de respect pour N., dont les cours sont stimulants et qui les incitent à penser «hors du cadre», selon son expression.
Je surpris alors du coin de l’œil une saynète furtive. Un des étudiants, nommons-le Abdelmoula (c’est un pseudo), se pencha vers une des doctorantes, baptisons-la Ithri -ou plutôt Ytto, tiens, c’est encore plus joli- et lui murmura quelques mots dans le creux de l’oreille. Ytto fronça les sourcils et ne pipa mot. Elle semblait choquée.
Quelques heures plus tard, je tombai de nouveau sur Ytto au Starbucks du campus. Tout en dégustant mon lait noisette, je demandai à la matheuse si tout allait bien.
- Pourquoi ça n’irait pas?
- Tu avais l’air choquée, tantôt.
- Ah, oui. C’est vrai.
Elle me narra l’affaire. L’ignoble Abdelmoula, au passage du professeur N., lui avait glissé à l’oreille:
- Lui, je le connais, il est toujours complètement soûl. Jamais à jeun! Pila, de jour comme de nuit.
L’admiration qu’elle portait au professeur en avait pris un coup.
Je fus pris d’une intense colère, au point que le goût de mon café noisette vira au vinaigre.
Il se trouve que je connais N. depuis l’année du bac -et même avant. Nous avons fait nos études ensemble, je l’ai croisé des centaines de fois lors de cérémonies publiques, lors de dîners privés, dans des cocktails, des restaurants, des fêtes, à l’Académie des Sciences, chez Untel et chez Trucmuche, etc. Jamais je ne l’ai vu soûl, jamais je ne l’ai même vu boire un verre de vin. De toute façon, quand cela serait, ça ne regarderait que lui; mais il se trouve que je suis bien placé pour savoir que personne n’a jamais pu le voir soûl -et certainement pas ce petit scélérat malfaisant de Abdelmoula, qui ne le connaît ni d’Ève ni d’Adam, ne le fréquente pas et n’est même pas digne de repiquer ses poireaux.
Alors pourquoi, pourquoi n… de D…, pourquoi cette médisance, cette méchanceté gratuite?
Je rassurai Ytto: le professeur N. n’est pas ce que prétend cette langue de vipère d’Abdelmoula. Elle me répondit qu’elle s’en doutait un peu vu que ce faux jeton ne rate pas une occasion de dénigrer quelqu’un.
- En l’occurrence, lui répondis-je, il ne s’agit pas de dénigrer -ce qui suppose un fond de vérité- mais de médisance, c’est-à-dire d’une invention pure et simple destinée à nuire.
Rentré chez moi, je me suis fait la réflexion que ce minable calomniateur doit sans doute se dire musulman, comme tous ceux qui se paient de mots et ignorent les choses. Connaissent-ils leur religion? La médisance, la calomnie, sont pour eux des péchés.
J’espère qu’on y consacrera une des causeries du Ramadan, puisque c’est bientôt la saison.
Si ça pouvait contribuer à éliminer ce trait détestable de notre nature, ce serait formidable.