Elle est montée à la gare de Kénitra. Le Boraq, ponctuel et impeccable, est là. Elle arrive, la tête penchée pour retenir le téléphone entre son oreille et son épaule. Elle parle à sa mère. J’ai entendu quelques phrases qu’on ne dit qu’à une mère. Elle cherche sa place. Siège 56. Elle s’approche de moi et me demande si je ne suis pas assis, par hasard, à sa place. Je vérifie et lui montre son siège à ma droite. Elle dépose son sac en faux cuir, pousse un soupir, regarde autour d’elle, et range son téléphone. Elle le reprend dès que le train démarre. Elle regarde ses messages. Elle rit puis met la main sur la bouche comme pour s’excuser.
Elle est jeune et jolie. Son jean’s est à la mode. Son chemisier est simple. Une veste quelconque achetée probablement chez H&M. Peu de bijoux. Elle est cependant maquillée à outrance. Des lèvres épaisses, probablement refaites et une poitrine imposante et aussi passée par la chirurgie esthétique, (envie de dire «chirurgie inesthétique»). Je n’en sais rien, mais je parie que ce sont des faux seins. Deux ballons pleins d’eau. Ça bouge, ça fait des vagues, et ça m’énerve.
J’ai envie de lui dire: «Mais pourquoi avoir refait une partie de votre corps? Ça se voit et pour être franc avec vous, ça ne vous avantage pas du tout… Et puis c’est souvent une arnaque faite pour enrichir le toubib…»
Mais est-elle capable d’écouter un discours qui remet en question sa tentative de s’embellir alors qu’elle devait être plus jolie au naturel?
Elle se lève pour aller chercher un café. Elle me demande de faire attention à son sac posé par terre. «Pas de problème. Je suis là, je surveille!». Elle sourit et s’en va. Là, je remarque que ses fesses ont de l’ampleur. Et là, me vient à l’esprit la réaction de certains hommes des pays du Golfe qui préfèrent les femmes aux grands fessiers. Je ne dis rien, mais j’y pense aussi.
Elle revient avec deux gobelets de café qui avait refroidi en route. Elle en pose un sur ma table et fait le signe de porter un toast.
«La mode en ce moment chez nous est à la chirurgie inesthétique. Au Brésil, ça fait fureur. Tout le monde fréquente les cliniques qui feraient des miracles. Même les gens qui ont peu de moyens économisent pour se refaire la poitrine et les lèvres. »
— Tahar Ben Jelloun
Je la remercie et lui demande quel est son travail? «Du travail, j’en cherche».
Elle a passé le reste du voyage jusqu’à Casa à regarder son téléphone. Peut-être qu’elle joue une partie de cartes. Ou bien, elle revoit ses dernières photos prises à l’anniversaire de sa meilleure amie qui s’envole à Dubaï où elle va travailler comme hôtesse dans un grand hôtel (c’est ce qu’on dit…).
Elle me dit: «Elle a de la chance! Dubaï c’est super! j’espère y aller un jour».
À Casa-Voyageurs, un jeune homme, sportif, habillé à la mode, allure de footballeur, barbe de trois jours, l’attend. Ils se font la bise. Elle monte dans sa voiture, une Dacia que les dernières pluies ont salie. Ils disparaissent et je repense à la discussion que j’aurais aimé avoir avec elle.
Peut-être lira-t-elle cette chronique. Voilà ce que je lui aurais dit, et là, je m’adresse à toutes ces jeunes femmes qui se précipitent chez les chirurgiens esthétiques pour se refaire des parties de leur anatomie:
«La nature est ce qu’elle est. Pas besoin de la trafiquer. L’homme normal aime la femme telle que la nature l’a faite. La chirurgie peut réparer un corps abîmé suite à un accident, mais en aucun cas elle ne doit intervenir pour soi-disant «améliorer» votre anatomie. La beauté la plus importante est celle de l’âme, celle des valeurs, celle de l’intime, celle de l’intelligence.
Vous avez l’air de donner plus d’importance à l’apparence. C’est une erreur. Plus on cherche à dissimuler, plus cela se voit. Soyez vous-même, n’essayez pas de ressembler à une de ces actrices ou chanteuses qui sont toutes faites avec le même moule. Soyez originale: soyez naturelle, c’est-à-dire telle que la nature vous a faite!»
Mais, paraît-il, la mode en ce moment chez nous est à la chirurgie inesthétique. Au Brésil, ça fait fureur. Tout le monde fréquente les cliniques qui feraient des miracles. Même les gens qui ont peu de moyens économisent pour se refaire la poitrine et les lèvres. Pas seulement des femmes. Les hommes aussi dont certains se font poser des prothèses sur la verge afin d’assurer des performances sexuelles importantes.
Plus de limites à la bêtise. Après tout, c’est la liberté de chacun de changer son apparence. Est-ce pour autant, qu’il sera meilleur? C’est une question dont la réponse pour moi est évidente.






