S.F., la jeune avocate française qui se retrouve depuis quelques semaines au cœur d’une sordide affaire de viol par soumission chimique, commis lors d’une soirée festive en novembre dernier à Casablanca, et impliquant des fils de grandes familles marocaines, a décidé de sortir du silence pour répondre aux nombreux articles écrits sur l’affaire dont elle dénonce les contre-vérités, les approximations et les mensonges.
La mine grave, la jeune femme de 27 ans, originaire de province et venue à Paris pour y poursuivre des études d’avocate, nous a livré, pendant près d’une heure, sa version des faits, ne rechignant à répondre à aucune question, même les plus gênantes, dans la limite toutefois du secret de l’instruction de cette affaire, suivie par l’avocate Ghizlane Mamouni et dont la procédure au Maroc est pilotée par Khadija Rougani.
Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui?
Je suis très déterminée. Je veux aller jusqu’au bout. J’ai un dossier constitué de preuves scientifiques solides, malgré ce qu’on entend. Je pense aujourd’hui que c’est un combat qui me dépasse en tant que personne. J’ai la chance d’avoir les moyens de le faire, d’avoir fait des études qui me permettent de me défendre. J’ai été frappée par les chiffres des personnes qui portent plainte pour viol. En France, à peine 6% des victimes portent plainte, souvent pour défaut de preuve et pour beaucoup d’autres raisons. Je sais qu’au Maroc, c’est aussi le cas, souvent par pression. Mais j’ai la chance d’avoir autour de moi un entourage très uni, qui ne remet jamais ma parole en doute et je veux aller jusqu’au bout pour obtenir justice, pour être protégée et protéger d’autres femmes marocaines.
Vous attendiez-vous à un tel emballement médiatique après le dépôt de votre plainte?
Que les médias en parlent, je m’y attendais. Par contre, je ne m’attendais pas à un tel acharnement médiatique. Il y a des journaux comme le vôtre qui sont très intègres, qui respectent une ligne éditoriale qui pour moi est tout à fait sérieuse, mais en revanche, il y a des articles à charge qui ont été écrits dans d’autres médias pour me salir, me détruire. C’est très dangereux de faire ça à une victime de viol, c’est presque criminel en fait, parce que c’est impossible de se reconstruire pendant un procès très prenant. Heureusement, j’ai une famille solide, un entourage, un travail… mais l’acharnement médiatique et le fait que mon identité soit dévoilée a été très violent pour moi. Je trouve que ça n’avait pas sa place dans les médias. Il y a des affaires de viol qui sont tout aussi médiatisées que la mienne sans que jamais l’identité des victimes ne soit dévoilée.
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En effet, votre identité a été dévoilée après la diffusion de votre plainte en France…
Oui, mais si cette plainte a circulé, ce n’est pas de mon fait. Je n’aurais jamais accepté que cette plainte qui dévoile mon intimité soit publiée, de surcroît avec mon adresse, mon numéro de téléphone, mon adresse email. Suite à cela, j’ai été contactée par de nombreuses personnes. Je le regrette profondément car des propos contenus dans ma plainte en France ont été interprétés, notamment la critique de la justice marocaine, alors qu’ils ne sont pas de mon fait. Moi je suis une amoureuse du Maroc. Je devais emménager au Maroc cette année, je devais m’y marier. J’avais pour but de m’y installer, d’y fonder ma famille, d’y travailler… Donc si je n’avais pas foi dans le système judiciaire marocain, je n’aurais pas déposé plainte au Maroc ou j’aurais retiré ma plainte. Alors que non, au contraire, je crois totalement dans l’intégrité de ses institutions.
Est-ce la seule raison qui a motivé votre dépôt de plainte au Maroc?
Oui tout à fait. Je suis rentrée en France parce qu’après un tel choc, on a envie de retrouver sa famille, ses parents, son chez-soi, ses amis… Mais j’ai très rapidement compris que pour que la justice soit efficace, une plainte devait être déposée aussi au Maroc. Il fallait aussi que je trouve un avocat à distance. Ghizlane Mamouni m’a beaucoup aidée dans cette démarche car ce n’était pas évident de trouver un avocat marocain sans l’avoir rencontré. J’ai appelé d’autres avocats avant de trouver la mienne. C’était loin d’être évident. Je faisais des allers-retours chez le médecin, j’étais en arrêt de travail, j’avais du mal à me lever de mon lit. Mais je me suis dit que si je ne portais pas plainte, qui allait le faire? Il y a quand même beaucoup de choses dans mon dossier qui sont solides et il était hors de question pour moi de savoir mon agresseur en liberté.
Parlons maintenant de cette soirée… De quoi vous souvenez-vous précisément?
Je suis allée à la soirée parce que j’avais été invitée par mon fiancé, qui lui-même était invité par son cousin. J’avais déjà vu Kamil Bennis trois fois mais je ne le connaissais pas très bien. Quand je suis arrivée à la soirée assez tôt, aux alentours de 22 heures, il y avait peu de personnes, surtout des hommes. À part une copine, mon fiancé, Amine, et Kamil Bennis, je ne connaissais pas les autres invités, donc je n’étais pas très à l’aise. Ensuite, des amis sont arrivés et je me suis sentie un peu mieux. J’ai eu une très brève altercation verbale avec l’ex-compagne de mon conjoint, mais l’histoire s’est réglée très rapidement. Contrairement à ce qui a été dit dans la presse, c’était anecdotique et ça s’est très vite tassé. J’étais plus à l’aise car il y avait d’autres personnes que je connaissais, notamment un couple d’amis, et d’autres personnes que je connaissais via Amine. Entre Amine et moi, tout allait très bien. On dansait, on rigolait, on discutait… Mes souvenirs s’arrêtent quand tout va très bien. Je suis assise sur un canapé, je discute avec une copine, Amine est à côté de moi, il me propose un burger… Puis je me réveille en n’ayant plus aucun souvenir, si ce n’est ce dernier moment que j’identifie tout de suite. C’est comme si je m’étais endormie sur le canapé.
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Fêtiez-vous l’anniversaire de votre fiancé ce soir-là?
On avait fêté l’anniversaire d’Amine une semaine avant mais tout le monde n’avait pas pu venir. Donc Kamil a proposé à Amine de faire une soirée qui serait également l’occasion de célébrer son anniversaire. Mais ce n’était pas à proprement parler sa soirée d’anniversaire car il y avait plein de gens qu’on ne connaissait pas.
Dans quel état d’esprit êtes-vous quand vous vous réveillez le lendemain? Savez-vous où vous vous trouvez? Avez-vous conscience que vous ne vous souvenez plus de la soirée?
En fait, je n’ai même pas le temps de réfléchir car j’ai été réveillée par un appel de ma meilleure amie. Je m’aperçois qu’il y a eu beaucoup d’autres appels manqués, d’elle et de mon entourage, alerté par elle. Quand j’ai ouvert les yeux dans un environnement que je ne reconnaissais pas, elle m’a tout de suite dit que j’étais chez Kamil. Donc je n’ai pas de doute: j’ai passé la soirée chez lui, c’est le cousin de mon conjoint, je le connais. Je me dis que j’ai dû m’endormir dans une chambre. Mais j’ai les jambes qui sont un peu anesthésiées, j’ai une sensation d’être en dehors de mon corps. J’ai eu une anesthésie générale il y a trois ans, donc je sais qu’on ressent ça. J’ai mal à la tête mais je n’ai pas d’autres signes physiques à ce moment-là.
Quelle est la teneur de votre conversation avec votre amie?
Elle me dit qu’elle a eu Amine au téléphone, qu’il est très énervé et me demande si je suis habillée. Effectivement, je suis habillée. Pour tout vous dire, j’avais un body qui est clipsé, mon pantalon est fermé, le soutien-gorge en place. Je n’ai pas de signaux qui m’alertent sur quoi que ce soit. Je reste au téléphone avec elle pendant quarante minutes. Elle me dit qu’Amine est dans l’incompréhension par rapport à ce qui s’est passé, parce que j’ai subitement changé de comportement. Elle me raconte que je me suis mal comportée, elle s’étonne en me disant que ça ne m’est jamais arrivé, qu’elle trouve ça bizarre. Elle m’explique qu’Amine ne m’a pas reconnue, qu’il a même payé une nounou pour s’occuper de moi, que je n’étais pas moi-même, que j’avais un regard qui était différent. Elle me donne beaucoup d’informations qui me semblent complètement lunaires parce que je n’ai pas de souvenirs, mais ce qu’elle me raconte est à des kilomètres de ma personnalité. Je me dis que je suis un peu à côté de la plaque mais je n’imagine vraiment pas que ce qu’elle dit est vrai. Je me dis qu’il y a beaucoup d’exagération, que j’ai dû m’endormir, et je ne vais pas plus loin à ce moment-là dans la réflexion.
À ce moment-là, avez-vous des nouvelles de votre fiancé?
Non, je n’ai pas eu de nouvelles et je sais qu’il est très énervé. Mais je ne comprends pas pourquoi. C’est plus facile à ce moment-là de croire que c’est lui qui est fou plutôt que de croire que j’ai eu le comportement qu’on décrit. J’ai 27 ans, j’ai fait des soirées, j’ai vécu, donc je sais que ce comportement n’est pas représentatif de ma personnalité. On devait se marier cette année, on avait prévu de fonder une famille, j’avais prévu de m’installer au Maroc donc cette histoire n’a aucun sens. À ce stade, je sais par mon amie qu’Amine n’a pas dormi parce qu’il l’a appelée en rentrant. Je suis dans un flou total mais je suis à des milliers de kilomètres de me douter qu’il s’est passé quelque chose.
Restez-vous ensuite dans la maison et parlez-vous à d’autres personnes?
Je ne reconnais pas la chambre dans laquelle je me réveille, puis j’en sors et je descends les escaliers qui sont en face de la porte et je reconnais la maison dans laquelle j’ai passé la soirée, car j’ai quand même des souvenirs assez nets de 22h à 2h30 du matin. La maison est très propre, il n’y pas de signe de débauche ou quoi que ce soit mais je trouve ça quand même bizarre de ne me souvenir de rien. En descendant, je tombe sur quelqu’un que je ne reconnais même pas, comme si je ne l’avais jamais vu de ma vie. Je lui demande s’il était à la soirée, il me dit que oui. Je lui demande ce qui s’est passé et il me dit qu’il ne s’est rien passé, que c’est juste Amine qui est devenu fou, qu’il voulait taper tout le monde mais que moi, j’étais parfaitement normale, que j’étais joyeuse. Il me dit de ne pas m’inquiéter. J’apprendrais par la suite qu’il s’agit de Saad Slaoui. Il se montre très rassurant et dédramatise mon angoisse. Mon amie, qui était en vacances à Marrakech, reste avec moi au téléphone et me dit qu’elle m’envoie son chauffeur pour me récupérer. Je savais que ça prendrait un peu de temps, mais je ne me sentais pas en danger à ce moment-là. Je n’ai pas envie de vomir, je suis habillée, je suis dans une maison qui appartient au cousin d’Amine. Donc, ce n’est pas comme si je me réveillais n’importe où et puis sa grand-mère habite à côté.
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Je remonte dans la chambre en attendant que le chauffeur arrive, sans être vraiment inquiète. Environ une demi-heure avant que le chauffeur n’arrive, je descends et je tombe cette fois-ci sur Kamil, contre lequel je ne ressens aucune animosité. Saad et lui sont assis à table et je m’installe à côté d’eux. Je suis toujours au téléphone, en continu, avec mon amie qui est vraiment très inquiète et me demande de parler à Kamil pour savoir ce qu’il s’est passé. Je lui passe le téléphone en haut-parleur, très confiante, et il lui dit alors: «S. s’est très mal comportée, c’est une pute. Elle a eu un comportement inadmissible pour un homme». Je tombe des nues et je me demande ce qu’il est en train de raconter. Il parle de manière très détendue, le dos calé sur le dossier de sa chaise, pendant que mon amie lui demande s’il s’est passé quelque chose et s’il a dansé avec moi. Il répond alors: «Non pas du tout. Moi je ne danse pas, je fume le cigare et j’observe», et nie avoir eu toute relation sexuelle avec moi. J’ai encore cette phrase qui tourne en boucle dans ma tête.
Que faites-vous ensuite?
Je m’éloigne, je prends conscience que je ne suis pas du tout dans un environnement normal et bienveillant. Je continue de parler au téléphone en attendant que le chauffeur vienne me chercher et quand il arrive je laisse ma veste, mes chaussures et je pars en chaussons avec mon sac à main que je trouve sur mon chemin. Je suis complètement déboussolée. Je réalise que quelque chose n’est pas normal dans cette histoire, que manifestement, je ne me suis pas endormie comme je le pensais. Pourtant, j’avais l’impression d’avoir fait une bonne nuit de sommeil. Je suis allée chez les parents d’Amine pour récupérer mes affaires. Je n’avais qu’une chose en tête, faire un test toxicologique et retrouver mon amie à Marrakech.
Pensez-vous à cet instant avoir été droguée à votre insu?
Deux choses sont très bizarres. D’abord, j’ai eu un comportement qui ne me ressemble pas du tout et en plus, je ne me souviens de rien, et rien ne me revient. Rapidement, je pense à une drogue du viol. Du GHB ou autre chose. On a beaucoup parlé du GHB en France ces dernières années. Donc c’est un sujet qu’on connait. On est sensibilisés à cette histoire de soumission chimique.
Que se passe-t-il lorsque vous arrivez chez votre fiancé?
Je tombe sur mon beau-père qui se montre très froid de prime abord mais comprend rapidement ma détresse et me traite tout de suite comme sa fille, comme il m’a toujours traitée. Je lui dis que je veux faire un test toxicologique et il me dit qu’il va m’accompagner. On est allé dans un laboratoire privé sans rendez-vous. J’ai demandé au standardiste un test toxicologique complet mais j’ai insisté sur le GHB. En faisant le test urinaire, j’ai eu très mal. C’est une douleur qui m’a pris d’un coup et pour moi, c’est la douche froide. J’imaginais peut-être avoir été droguée mais pas du tout avoir été violée. Mon beau-père m’attend dans la salle d’attente et je me demande comment je vais pouvoir lui dire un truc comme ça. J’en étais malade.
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Pourquoi le test toxicologique ne faisait-il pas état de présence de GHB selon vous?
Parce que manifestement, ce n’est pas un test classiquement pratiqué au Maroc. Je voulais absolument faire un test rapide parce que je savais que le test de GHB doit être fait très vite. Je n’ai pas su lire les résultats en les recevant et c’est en rentrant à Paris et en donnant mon test aux policiers qu’ils m’ont dit que je n’avais pas été testée au GHB. J’ai pensé au GHB parce qu’on en entend beaucoup parler, mais ça peut aussi être autre chose. Je ne suis pas médecin, je n’ai pas les connaissances scientifiques pour en parler, mais ce qui est certain, c’est que je n’étais pas dans mon état normal.
Dans quel état d’esprit se trouve votre fiancé lorsque vous le retrouvez?
De retour du laboratoire avec mon beau-père, je veux parler avec Amine et essayer de comprendre ce qui s’est passé pendant la soirée. Amine est sous le choc. Il est dans l’incompréhension la plus totale. On essaie de recouper les informations. Il me dit qu’on l’a empêché de monter pour venir me récupérer. Mais dans le même temps, il est toujours assez énervé contre moi, car ce aqu’il a vu de ses yeux, c’est un comportement dégradant. On est dans une ambivalence entre l’énervement et l’incompréhension. On est tous les deux effondrés. J’ai mal, je suis désemparée, j’ai même peur de lui en parler parce que j’ai peur qu’il soit encore plus effondré. Mais je lui dis quand même que je dois aller faire des tests parce qu’il s’est passé quelque chose.
A-t-il déjà porté plainte à ce stade?
Pas encore. Il a des blessures. Il soulève son t-shirt et je vois de gros bleus, de grosses ecchymoses et il est très chamboulé. Sa main est toute bleue. Il me dit qu’on l’a empêché de monter pour venir me récupérer. Je me dis qu’on est en plein cauchemar et que je vais me réveiller.
Avez-vous vécu d’autres moments festifs ensemble? Est-il en mesure de comparer celle que vous êtes d’habitude en soirée avec celle que vous étiez ce soir-là?
Oui tout à fait. La preuve, c’est qu’il a pris une nounou pour s’occuper de moi. Il voyait que je n’étais pas du tout dans mon état normal et il a vraiment voulu me protéger. Cela fait un an qu’on est ensemble, je ne lui ai jamais manqué de respect, il n’a jamais eu de raison de douter de moi, je ne me suis jamais mal comportée avec lui. On est fiancés, on projetait de se marier, il avait rencontré mes parents, j’avais rencontré les siens… C’était le projet pour l’année 2025, se marier. C’était comme si on était passé du rêve au cauchemar.
Quand rentrez-vous en France?
J’avais prévu de rentrer à Paris le dimanche soir. Au départ, je devais même rentrer le week-end précédent. J’étais venue pour son anniversaire mais j’ai eu une grosse intoxication alimentaire et j’ai prolongé pour passer une semaine de plus à Casablanca puis passer le week-end à Marrakech. Je n’avais donc pas prévu du tout de participer à cette soirée. C’est parce que je suis restée au Maroc une semaine de plus que ça s’est passé. Donc dimanche soir, je n’étais pas du tout en état de prendre l’avion. Le chauffeur qui avait pour mission de me ramener à Marrakech auprès de mon amie était depuis le début. Je suis donc rentrée à Paris lundi après-midi.
Que faites-vous en arrivant à Paris?
Dès que j’arrive, je pars très vite porter plainte. Puis, sur réquisition du procureur, je me rends dans les unités médico-judiciaires de l’Hôtel-Dieu et j’obtiens une constatation médicale le soir même.
Les résultats de cette consultation ont-ils confirmé le viol ?
Ghizlane Mamouni: Nous ne pouvons pas divulguer le contenu des résultats mais au moment de faire les tests, S. s’est rendue compte qu’elle avait des bleus partout sur le corps. C’est tout ce que nous pouvons dire à ce stade.
Pourquoi avoir porté plainte contre Kamil Bennis si vous n’avez pas de souvenir des faits?
Au début, Kamil Bennis a nié mais a fini par avouer avoir eu une relation sexuelle, le lundi suivant alors que je n’avais toujours aucun souvenir. J’ai porté plainte contre lui en France parce qu’il a avoué cette relation mais la plainte au Maroc est une plainte contre X. Je suis avant tout déterminée à connaître la vérité, à savoir ce qui m’est arrivé.
Sans souvenirs de cette soirée, comment avez-vous procédé pour reconstituer les faits? Avez-vous recoupé les informations des différentes versions entendues?
Exactement, il y a beaucoup de recoupage d’informations, mais la seule personne que je connaissais au moment des faits litigieux, c’est Amine. Sinon, ce n’est pas mon entourage, à part Kamil que j’avais rencontré.
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Comment vit-on le fait de ne pas se souvenir et de compter sur le témoignage des autres?
C’est très traumatisant, j’ai l’impression d’être dépossédée de ma personne et de mon identité. C’est très humiliant et à la fois, si je m’en étais souvenue, j’aurais eu d’autres traumatismes en fait. Quand on me raconte, je n’arrive même pas à y croire tellement c’est à l’opposé de qui je suis.
S’agissant de votre fiancé, qu’avez-vous pensé du fait qu’il retire sa plainte pour coups et blessures?
Je ne peux pas parler en son nom, ni m’exprimer là-dessus. Me concernant, il est hors de question que je retire ma plainte. J’ai aussi la chance d’être française, de ne pas subir de pressions de la part de mon entourage, j’ai un travail… Les pressions peuvent difficilement fonctionner sur moi. En ce qui le concerne, c’est tout à fait différent mais je ne peux pas parler à sa place. Ce qui est important, c’est qu’il se soit désisté, ce qui l’empêche de prétendre à des dommages et intérêts, mais il reste entendu en tant que témoin. Je n’ai pas lu son audition devant le juge d’instruction mais il faut bien préciser qu’il a porté plainte pour les coups et blessures qu’il a subis quand il a essayé de me récupérer. Par la suite, il n’était plus dans la maison et son témoignage s’arrête assez tôt finalement. Il a vu que je n’étais pas dans mon état normal, que j’étais tactile, complètement désinhibée, mais ça s’arrête au moment où Kamil me monte dans la chambre et qu’on l’empêche de me récupérer.
Parlons maintenant de ce qui a été qualifié par certains médias d’«incohérences» dans votre discours.
Mon témoignage n’a pas changé. Je dis la vérité et je l’ai toujours dite, que ce soit en France ou au Maroc. Ce qui est déterminant, c’est qu’une partie de mon témoignage est fondée sur des dires qui m’ont été rapportés. Donc, ce sont les nouvelles informations que je recueille sur ce qui s’est passé et qui s’ajoutent au fur et à mesure qui peuvent apparaître comme des incohérences. Mon témoignage sur ce que j’ai vécu, ce dont je me souviens, n’a jamais changé.
Il a aussi été affirmé que votre dossier était vide de preuves. Êtes-vous confiante par rapport à son contenu?
Oui, je suis très confiante car j’ai confiance dans le juge d’instruction, la police marocaine qui a instruit ce dossier. S’il n’y avait rien dans ce dossier, il n’y aurait pas eu de détention provisoire. J’ai de nouveaux éléments qui étayent ma plainte et qui sont solides. D’ailleurs, l’information selon laquelle la demande de libération provisoire a été refusée pour les accusés vient de sortir. Je ne pense pas qu’au Maroc, on garde des gens en prison parce qu’ils n’ont rien fait et qu’il n’y a pas d’éléments contre eux.
Comment réagissez-vous à la présence de drogue dans votre métabolisme et au fait que la défense des accusés pointe du doigt votre consommation de drogue par le passé, voire même votre toxicomanie.
Ce sont des attaques qui n’ont pas du tout leur place pendant une instruction. C’est diffamant, c’est très dangereux, d’autant que ma plainte française a été diffusée avec mon adresse. En même temps, c’est très classique parce que c’est toujours ce qu’on fait face à une victime de viol. C’est donc moi qui vais devenir la violeuse, l’accusée. Au sujet de la drogue, je n’ai aucun souvenir d’en avoir pris et ce qu’on décrit de mon attitude ressemble quand même beaucoup à une soumission chimique.
Comment réagissez-vous à l’annonce faite, à l‘issue de l’audience du 24 décembre, selon laquelle douze témoins auditionnés auraient réfuté les accusations de viol? Les connaissez-vous?
Ghizlane Mamouni: La liste des personnes auditionnées et leur identité ne sont pas connues. Cela fait partie du secret de l’instruction. À ce stade, on peut seulement s’interroger sur l’éventuelle existence de liens familiaux, personnels ou de travail (lien de subordination) entre ces personnes et les prévenus, qui pourraient invalider leurs témoignages. Ce sera examiné plus tard au cours du procès.
Idem pour cette femme qui dit avoir assisté à un acte sexuel consenti?
Je ne peux pas violer le secret de l’instruction mais la lumière sera rapidement faite.
Face aux affirmations de témoins que vous contestez, et qui s’apparenteraient donc à des faux témoignages ou à de la non-assistance à personne en danger, comptez-vous contre-attaquer?
Il est trop tôt pour le dire car je navigue un peu à vue mais je suis déterminée à aller jusqu’au bout.
Parmi les incohérences pointées du doigt dans votre récit, il y a les circonstances de votre rencontre avec votre fiancé. Il a affirmé que c’était à Paris et vous sur un site de rencontre, Raya.
Effectivement, nous nous sommes rencontrés via une application de rencontre qui s’appelle Raya avant de nous voir à Paris. Nous avons donc dit exactement la même chose, car la première fois que nous nous sommes vus, c’était à Paris, mais via Raya. Nous avons tout de suite construit une relation solide ensemble.
Cette application amoureuse est réservée aux célébrités, aux personnes aisées et autres personnalités publiques. Vous comprenez bien les sous-entendus qui entourent votre présence sur un site destiné à rencontrer des personnes aisées...
Je trouve cela très machiste de me prêter l’intention de chercher un homme riche. Sur cette application, il y a de tout et ce n’est pas un site de prostituées qui veulent rencontrer des hommes riches. Je suis avocate, j’ai fait huit ans d’études, j’ai eu mention Très bien au bac, je n’ai pas de problèmes d’argent et un homme peut aussi chercher chez une femme un statut social. Je trouve cela choquant de la part de la presse d’avoir instrumentalisé de la sorte cette information. Je n’éprouve aucune honte à ce sujet. J’ai rencontré Amine sur une application de rencontres parce que nous sommes tous les deux des personnes qui travaillons beaucoup. En l’occurrence, ça a très bien fonctionné entre nous. Nous avions prévu de nous marier, nous avions des objectifs de vie parfaitement classiques, comme celui de construire une vie de famille ensemble. Qu’on se soit rencontrés sur Raya ou en boîte de nuit, je ne vois pas où est le problème.
Selon vos détracteurs, qui dénoncent votre matérialisme et votre souhait d’évoluer dans la haute société, vous vous seriez vantée d’avoir passé une soirée «avec la crème de la crème». Qu’en pensez-vous?
Cette phrase-là, c’est la défense qui dit que je l’ai prononcée. Ce n’est pas dans mon témoignage. Ils disent aussi qu’ils ont empêché Amine de monter pour me protéger. C’est tellement odieux que c’est étonnant qu’ils osent défendre cette version.
La défense de Kamil Bennis demande une confrontation entre vous, lui et des témoins. Allez-vous y répondre par l’affirmative?
Je répondrai à tout ce que le juge me demandera de faire. Depuis le début, je coopère avec la police marocaine et française, donc si le juge d’instruction me le demande, évidemment je le ferai.
Êtes-vous toujours en couple avec votre fiancé?
Nous sommes pris dans un véritable tsunami émotionnel et judiciaire. Nous ne pouvons plus nous voir comme avant et toute notre vie a été bouleversée. Mais ce que je peux vous dire, c’est qu’il est un soutien indéfectible.
Qu’espérez-vous aujourd’hui et jusqu’où êtes-vous prête à aller?
Je suis prête à aller jusqu’au bout de la procédure. Ce que j’espère, c’est une condamnation qui soit juste, proportionnée. Je veux être reconnue en tant que victime, que les autres soient reconnus en tant que coupables. Je veux que mon procès puisse servir aux Marocaines et que ce ne soit pas juste un procès qui restera lettre morte. C’est très important que la soumission chimique soit reconnue. En France, c’est assez récent mais c’est un véritable phénomène.
Quelles sont les prochaines dates clés?
À ce stade, aucune idée.
Disposez-vous d’une aide psychologique?
Oui, j’ai reçu une aide psychologique dès que je suis rentrée. C’est très important parce que je vis l’acharnement médiatique comme une grande injustice, même si ça fait partie de ce combat. On a envie de sauter par la fenêtre quand on lit les inepties qui sont déclarées sur nous dans certains articles, c’est très violent.
Cette affaire altère-t-elle votre projet de vivre au Maroc?
J’adore le Maroc, je voulais vraiment m’y installer car il est un condensé d’énormément de choses que j’aime, à savoir la gentillesse, la bonne nourriture, le soleil, l’esprit de famille. Mais désormais, je n’ai plus aucun anonymat. Je ne me vois pas y vivre, ce serait compliqué de construire une vie. Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve. Dans quelques années peut-être, mais ce qui est sûr, c’est que je n’ai pas forcément envie qu’on parle de moi. J’ai envie de me reconstruire en paix, sans que tout me rappelle ce traumatisme.