Adam Muhammed aurait préféré garder le silence, explique-t-il en substance, l’enquête au sujet du viol dont il affirme avoir été victime en 2018 étant toujours en instruction. Mais compte tenu d’une virulente campagne orchestrée, depuis plusieurs semaines, par certaines associations de droits de l’Homme et des groupes islamistes visant à discréditer son témoignage et à soutenir son présumé violeur, Adam Muhammed a décidé de s’exprimer.
En effet, il estime que la campagne virulente dont il fait l’objet et les soutiens de son présumé violeur ne sauraient faire taire sa détermination à aller jusqu’au bout, précisant que son homosexualité ne saurait être un frein à la justice.
Plus grave encore, Adam Muhammed explique que les fausses allégations émises par les soutiens de Soulaiman Raïssouni, ainsi que la révélation de sa véritable identité et de son lieu d’habitation, «mettent (sa) vie en danger».
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Un viol présumé en 2018, une plainte en 2020: pourquoi?
Dans cette lettre, le militant et activiste LGBT qui revendique, n’en déplaise à certains, son droit à se nommer «Adam», prénom choisi il y a dix ans et «qui reflète (son) identité et (sa) personnalité», répond à ses détracteurs au sujet de la date tardive à laquelle il a décidé de porter plainte. En effet, les faits se seraient déroulés en 2018 et le message posté sur les réseaux sociaux dans lequel Adam Muhammed dénonce son viol n’a été posté que le 14 mai 2020. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps s’interrogent certains.
Adam Muhammed explique qu’il n’a pas pu parler avant de l’agression sexuelle qu’il a subie, «en raison des répercussions psychologiques» qu’il craignait, mais aussi «de l'hésitation et de la peur» qui le tenaillaient à l’idée d’un recours à la justice, «en raison de lois injustes quand il s’agit de la question du genre et de la sexualité au Maroc». En plus, la relation avec sa famille a pesé de tout son poids pour qu’il ne rendre pas public son présumé viol.
Adam Muhammed ajoute que le timing de son agression sexuelle correspondait au traitement de deux autres affaires portées en justice et ayant un rapport direct et indirect avec son présumé agresseur. Cette «coïncidence» aurait ainsi fait reculer Adam Muhammed qui dit avoir préféré attendre, de peur qu’on ne tente de «relier les événements entre eux et qu’on prête d'autres interprétations (à cette affaire) comme c'est actuellement le cas».
Il est fort possible qu’Adam Muhammed fasse référence à la condamnation du directeur du journal Akhbar Al Youm, Taoufik Bouachrine, en novembre 2018, à 12 ans de prison, pour «traite d’êtres humains», «abus de pouvoir à des fins sexuelles», «viol et tentative de viol».
Quant à la deuxième affaire qu’évoque Adam Muhammed, il pourrait s’agir de l’arrestation en août 2019 de Hajar Raïssouni, nièce de Soulaïman Raïssouni et journaliste dans ce même support, pour avortement clandestin.
Adam Muhammed dit avoir eu recours à un accompagnement psychologique au cours de cette période, bien que cela ne l’ait «pas aidé à guérir (ses) blessures». «Ses souffrances ont ressurgi sous forme de cauchemars, répétitifs qui se sont intensifiés avec le confinement», explique-t-il.
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A l’aube d’une longue bataille judiciaire
Adam Muhammed ferme rapidement la parenthèse de son ressenti et du désarroi psychologique dans lequel il a été plongé pendant ces deux années pour se concentrer sur la longue bataille judiciaire qui l’attend.
Celui-ci ne se fait aucune illusion et explique ainsi «je sais que je mène une bataille inégale en raison des lois nationales injustes envers les droits des minorités sexuelles et de genre», explique-t-il au préalable. Cela, il s’y attendait. Mais ce qui rend son combat encore plus difficile est «qu'une grande partie du mouvement traditionnel des droits de l'Homme au Maroc s’est vidé de son sens au fil des ans. Ce mouvement défend uniquement les personnes proches de son réseau, au lieu de défendre les droits des victimes et des personnes affligées sans aucune discrimination et indépendamment de toute autre considération.»
Ce constat émanant d’une personne elle-même militante pour cette même cause met à mal la position et la crédibilité de certaines associations de droits de l’Homme qui se sont d’ailleurs constituées en comité pour soutenir le présumé agresseur, Soulaiman Raïssouni, sans aucune considération pour la présumée victime.
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Gay vs journaliste droit-de-l’hommiste: une lutte inégale
Et Adam Muhammed de souligner que Soulaiman Raïssouni, «journaliste, rédacteur en chef d’une plateforme médiatique se présente également comme militant des droits de l’Homme», et que ce statut apporte son lot de confusions dans cette affaire, certaines parties «tentant de mettre le suspect au-dessus de la loi, de le départir de la responsabilité de ses actes, de ses excès et violations sous prétexte qu'il est journaliste». Adam Muhammed déplore ainsi l’acharnement dont il fait l’objet et dénonce ceux qui veulent le contraindre au silence.
Puis, Adam Muhammed revient dans un cinquième point sur «les déclarations de certaines associations de droits de l'Homme et de leurs membres», lesquelles «ont été conclues à la hâte». Les jugeant futiles, l’activiste et présumée victime, juge que ces déclarations «remettent en cause des questions fondamentales comme la signification des droits de l'Homme dans le contexte de ce qui se passe ici et maintenant».
Directement visé, l’avocat de Soulaiman Raïssouni, Abd El Moulay El Mourouri, présenté ici sous sa casquette de membre «du Karama Forum for Human Rights», association qui dit militer pour la défense des droits de l’Homme. Adam Muhammed revient sur les propos de celui qui l’accusait de se «vanter d’être gay», l’accusant à son tour «d’incitation à la haine et à la violence contre sa personne», d’être l’un des instigateurs des menaces dont il fait l’objet aujourd’hui et de «ce qui peut en résulter demain dans le cas de la violation de (sa) sécurité physique et de (sa) vie».
Idem «pour le président de l'Association marocaine des droits de l'Homme (AMDH) et ce qu'il a exprimé dans les médias». Adam Muhammed dénonce dans sa lettre «le soutien absolu et inconditionnel» qu’il a apporté à Soulaiman Raissouni «depuis les premiers jours de l'arrestation du suspect» ainsi que «la déclaration choquante qu'il a faite le 30 mai sur un site internet». «Une déclaration choquante pour moi et mon entourage et qui relève de la diffamation», explique-t-il.
Comme un parfum de trahison
Ce qu’Adam Muhammed dénonce ici est la révélation de son nom officiel par l’AMDH qui a agi «en violation flagrante avec la loi sur la protection des données personnelles». Un droit pourtant que garantit la Constitution à la présumée victime.
Pour Adam Muhammed, le camouflet est d’autant plus dur qu’il révèle avoir lui-même contacté l’AMDH le 26 mai 2020 en lui envoyant une lettre ainsi «qu’aux différentes composantes du mouvement des droits humains au Maroc», explique-t-il, et ce «compte tenu des préjugés qui ont été mis en avant par certains au profit du suspect dans un dossier où je me présente en tant que victime».
Suite à ce courrier, le président de ladite association lui aurait à son tour adressé le 28 mai «une réponse écrite proposant d'organiser une réunion afin de m'écouter». Quant à la date de tenue de cette rencontre, il était précisé dans cette lettre qu’elle «serait déterminée plus tard, après la levée des mesures de confinement».
Adam Muhammed s’attendait donc à être écouté, mais le 30 mai est survenu un revirement qui a changé la donne. Cette même association qui lui proposait une réunion a révélé ses données personnelles et en l’occurrence rendu publique son identité.
Celui-ci explique par ailleurs que «le 27 mai, et un jour après la réception de (sa) lettre», la même association a publié une déclaration indiquant clairement son soutien au suspect.
Enfin, en guise de conclusion à son texte posté le 4 juin 2020 sur Facebook, Adam Muhammed précise que «l'arrestation de l'accusé et sa détention provisoire étaient fondées sur la plainte que j'ai soumise aux services de sécurité», et non sur la base d’un post Facebook.
«En conséquence, et sur la base de l'ensemble des considérations et clarifications mentionnées ci-dessus, je réitère que mon dossier est juste», affirme ce militant LGBT qui insiste par ailleurs sur le fait que les attaques et les allégations de la partie adverse ne l’empêcheront «pas de s'accrocher à (sa) cause pour obtenir justice».