Gad le Marocain

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueDurant cette entrevue amicale, Gad Elmaleh m’a fait part de son étonnement que les deux grands théâtres de Rabat et de Casablanca ne soient pas ouverts. Je sais que le ministre la Culture, Mehdi Bensaïd, est un homme de qualité. Je lui demande, au nom de Gad et de tous les artistes marocains, d’ouvrir ces théâtres, dont le vide et l’absence d’activité finiront par faire des lieux hantés par Aïcha Kandicha.

Le 10/02/2025 à 11h03

Une salle de 4.000 places, pleine à craquer, au Dôme Palais des Sports, porte de Versailles, à Paris. Un Gad Elmaleh de noir vêtu, cheveux coupés très court, surgit sur la très large scène, décidé à se raconter et à nous faire rire, rire aux larmes, mais pas avec n’importe quelles paroles, gestes, mimiques ou présence. Il a décidé de dire la vérité. Mais la vérité est ronde, comme dit un personnage des «Mille et une nuits».

C’est un Gad totalement renouvelé, créatif, inventif, à l’aise face à ce public qui l’aime, qui l’adore, et qui rit parce que cela lui fait du bien de se détendre en écoutant les histoires quotidiennes, mais rocambolesques, d’un homme presque banal. Sauf que Gad est un comédien, un héritier du métier de son père, le mime, un acteur qui reproduit des situations surréalistes où il faut le suivre dans une imagination qui court à cent à l’heure.

Il en est ainsi de la rencontre avec Victor, un clochard avec qui il partira en balade dans une voiture virtuelle, entamant une discussion des plus folles avec ce personnage invisible, mais qu’on imagine aisément. Non seulement Gad entre dans son délire, mais à la fin de la course, il lui propose un billet de vingt euros pour l’essence… que Victor refuse, lui répondant: «C’est une électrique».

Gad parle de l’âge, la fameuse cinquantaine, de sa passion de la vie et de la complexité du rapport des gens avec l’argent et la religion. Deux sujets qu’il traite avec un humour subtil et si intelligent, sans une once de méchanceté. Pourtant, il rencontre des personnages coincés dans leurs préjugés, qui s’expriment par des gestes qui en disent long sur leur statut, telle cette directrice d’école qui ne parle pas, mais qui bouge les épaules, les bras croisés, et on comprend son mécontentement.

C’est un Gad enfin libéré de ses démons (plus d’alcool ni de cigarettes depuis plus de trois ans), un Gad qui règle son compte à l’amitié qui lui a tourné le dos au moment où il était à terre pour une question de plagiat qu’il nous raconte à travers ce que lui dit son fils de onze ans, Raphael. Et nous comprenons qu’il avait souffert et qu’il est aujourd’hui libre et riche de ses épreuves. Je n’ai personnellement jamais cru en cette histoire de plagiat, car je sais que dans ce pays, la France, le succès et l’argent sont détestés par ceux qui n’en ont pas. On essaiera de vous faire tomber par n’importe quel moyen parce que vous êtes intelligent, que vous avez un immense talent, et que vous réussissez partout où vous allez. Le succès produit la haine et la jalousie.

Cette page tournée, Gad se relève avec élégance et générosité. Tout son spectacle est un hymne à la paix, au dialogue, sans langue de bois, avec une volonté sincère de vivre ensemble, avec intelligence et humour. Il dit et répète que les trois religions ont toutes les mêmes buts: permettre à l’homme de repousser l’angoisse et de pratiquer les valeurs d’humanité dont nous avons besoin pour vivre.

«On l’accompagne avec joie, on croit à ce qu’il voit et on voyage avec lui dans ses délires qui sont parfois les nôtres. Durant une heure et demie, pas une seconde de relâchement, de faiblesse ou d’hésitation.»

Gad évoque les petites mesquineries quotidiennes, il vole (un ananas dans un supermarché, objet bien encombrant), ment un peu, fait croire qu’il a lu un livre qui n’existe pas face à un auditoire qui se met à le lui raconter.

Cette fois-ci, Gad a poussé l’absurde très loin. On l’accompagne avec joie, on croit à ce qu’il voit et on voyage avec lui dans ses délires qui sont parfois les nôtres. Durant une heure et demie, pas une seconde de relâchement, de faiblesse ou d’hésitation. Il connaît son parcours sur le bout des doigts, ce qui ne l’empêche pas d’improviser en échangeant avec des spectateurs.

Avant le spectacle, il m’a demandé de passer le voir dans sa loge. C’est un Gad heureux qui me reçoit et me raconte que la semaine dernière, il avait laissé son jeune fils avec sa grand-mère maternelle à Monaco. En le récupérant, Raphael lui a parlé des musées qu’il a visités, des jardins où il s’est promené. Et Gad d’enchaîner: «L’autre week-end, il était chez ma mère. Quand je l’ai récupéré, je lui ai demandé: “Alors qu’as -tu fait?” Il m’a répondu: “Nous avons passé le week-end à chercher la télécommande de Papy”.» Cette blague ne faisait pas partie du spectacle. Mais c’est Gad, il ne peut pas s’empêcher de tout tourner en dérision, de rire de tout.

Durant cette entrevue amicale, il m’a fait part de son étonnement que les deux grands théâtres de Rabat et de Casablanca ne soient pas ouverts. Il les a visités et il ne comprend pas pourquoi le public et les artistes de son pays sont privés de ces lieux magnifiques construits par de grands architectes, mais qui restent vides, dans l’attente.

C’est absurde et anticulturel de ne pas les ouvrir, car il y a au Maroc des talents, des potentialités créatrices et des artistes qui ne demandent pas mieux que de les remplir. L’administration a parfois des logiques inexplicables. Je sais que le ministre la Culture, Mehdi Bensaïd, est un homme de qualité. Il est compétent et fait beaucoup pour la culture dans notre pays. Je lui demande, au nom de Gad et de tous les artistes marocains, d’ouvrir ces théâtres dont le vide et l’absence d’activité finiront par faire des lieux hantés par Aïcha Kandicha ou une de ces créations fantomatiques qui habitent certains esprits. Un théâtre est fait pour vivre et donner de la joie et de la réflexion à celles et ceux qui le fréquentent.

Donnez vie à ces deux théâtres! Le Maroc moderne le mérite et le peuple marocain, qui adore le théâtre et tous les spectacles, en sera heureux, dans le plus beau pays du monde. Et Gad rêve de venir s’y produire, pour le bonheur de ses milliers de fans.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 10/02/2025 à 11h03

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On a deux théâtres pharaoniques, grandioses tout neufs fermés depuis des années et aucun journaliste ou parlementaire ne se pose la question du pourquoi de ce scandale? On croit vivre dans un monde parallèle. Faute de spectacles vivants tant notre vie culturelle est pauvre on peut au moins les utiliser pour les congrès et sommets internationaux voire des concerts.

Gad est un incroyable ambassadeur du Maroc. Il clame haut et fort sa marocanité à chaque fois qu'il en a l'occasion et il en est fier. Il aborde tous les sujets sans concession, mais avec bienveillance. Merci l'artiste !

Il a raison, ça sert à quoi de dépenser tout cet argent pour construire 2 theatres qu'on nne va pas utliser !!

Tahar Ben jelloun est de toute évidence un grand écrivain Merci pour cet article éblouissant d'ailleurs je trouve tout ce que vous écrivez est éblouissant et je suis un fervent lecteur

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