La maison familiale des Benhima se situe dans l’impasse de la Voûte, Derb Al Qaouss, mitoyenne de la grande mosquée Masjid Al Aâdam, au cœur même du périmètre touché par les inondations. Ce quartier historique, aujourd’hui sinistré, est intimement lié à l’histoire d’une famille de grands commis de l’État.
Driss Benhima appartient à une lignée qui a marqué l’administration marocaine: Mohamed Benhima, ancien Premier ministre, Ahmed Taïbi Benhima, ancien ministre des Affaires étrangères, Ghali Benhima, ambassadeur, ainsi que Driss Benhima lui-même, ancien ministre de l’Énergie et ancien PDG de Royal Air Maroc. Un enracinement familial profondément attaché à Safi qui donne à sa parole une résonance particulière.
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Président de l’association Hawd Assafi et fin connaisseur de la ville, Driss Benhima observe le drame avec émotion, mais aussi avec le regard de l’ingénieur et de l’ancien responsable public. Pour lui, les inondations de Safi relèvent avant tout d’un phénomène climatique rare, voire inédit.
De fortes pluies orageuses ont frappé la province de Safi, provoquant ainsi des crues exceptionnelles en un laps de temps très court.. AFP
«Nous avons affaire à un phénomène extrêmement localisé. Contrairement aux inondations de Mohammedia, survenues en novembre 2003, où l’eau provenait du bassin de l’Oued El Maleh, ici la pluie s’est concentrée sur un espace très réduit», explique-t-il, images à l’appui du lieu des précipitations.

D’un point de vue hydrologique, souligne-t-il, la construction d’un barrage de retenue sur l’oued Chaâba n’aurait pas permis d’éviter la catastrophe. «C’est un phénomène très particulier», insiste-t-il.
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Comparant ces inondations à celles survenues en novembre 2003 à Mohammedia, qui avaient conduit à l’incendie spectaculaire de la raffinerie Samir, Driss Benhima rappelle que, dans ce cas précis, les causes étaient clairement liées à l’activité humaine. «À Mohammedia, l’exutoire naturel du delta de l’Oued El Maleh avait été fortement restreint par une urbanisation excessive. On est passé de plusieurs centaines d’hectares à seulement 180 hectares d’exutoire. Quand l’eau est arrivée, elle ne pouvait plus s’écouler vers la mer. Elle est alors remontée par les égouts, provoquant les inondations puis l’incendie de la raffinerie», explique-t-il.
À Safi, la question des exutoires mérite néanmoins d’être posée. «Faut-il prévoir des exutoires plus importants pour que, si l’eau revient, elle puisse aller vers la mer sans pénétrer dans la vieille ville? C’est un point à examiner», estime-t-il, tout en restant sceptique quant à l’efficacité de grandes infrastructures face à un phénomène aussi concentré.
Rappelons qu’une enquête a été ouverte par le procureur du Roi près le tribunal de Safi afin de faire toute la lumière sur les circonstances exactes du drame.
La grande rue de la médina transformée en lit d’oued
Les dégâts les plus importants ont touché l’ancienne médina, cœur historique et commercial de Safi. «La grande mosquée Bab Laâdem a été inondée mais pas le minaret. Ce dernier est séparé de 50 mètres du bâtiment principal», souligne Benhima. Ce minaret est celui d’une ancienne mosquée almohade que les Portugais avaient transformée en clocher d’église. Après la reconquête musulmane, le minaret fut conservé tandis que la mosquée fut reconstruite sur la grande rue commerçante, explique-t-il. C’est précisément cette grande artère qui s’est transformée en lit d’oued lors des intempéries. «Tous les magasins ont été détruits», déplore Driss Benhima. Bijouteries, kissariats et ateliers artisanaux ont été ravagés, dont celui du maître potier Moulay Ahmed Serghini, figure emblématique de la céramique de Safi. «Il y a une kissariat où mon grand-père avait un magasin. Elle a été elle aussi détruite», confie-t-il.
Selon lui, la majorité des victimes se trouvaient dans des commerces où certaines personnes s’étaient réfugiées et ont été prises au piège par la montée soudaine des eaux. Les flots ont dévalé la grande rue de la médina jusqu’à la place du mausolée de Sidi Boudheb. À proximité, rapporte-t-il, le club de tennis de Jnane Lfasyane a été entièrement détruit.
«En soixante-dix ans, je n’ai jamais entendu parler d’inondations de cette ampleur à Safi», témoigne Driss Benhima. Pour lui, le caractère spectaculaire du drame tient précisément à son extrême localisation et à sa soudaineté, deux marqueurs des dérèglements climatiques actuels. Il rejette l’idée de défaillances majeures dans les infrastructures urbaines. «Les infrastructures sont adaptées aux risques climatiques auxquels le Maroc a été confronté. Ce genre de sinistre était inimaginable il y a encore quelques années.»
Les météorologues évoquent la remontée du front intertropical pour expliquer certaines intempéries récentes au Maroc, notamment dans le sud du pays (Tata). «Ce sont des phénomènes nouveaux, liés au changement climatique, auxquels il va falloir s’adapter», estime Benhima. Il insiste sur la nécessité de distinguer les inondations liées à l’activité humaine de celles provoquées par des phénomènes climatiques émergents. «Dire que l’administration n’a pas anticipé est un peu injuste. On n’anticipait pas ce type de phénomènes parce qu’ils n’existaient pas», affirme Benhima, tout en saluant la rapidité et l’efficacité de la réaction des autorités publiques, largement saluées sur place. Parallèlement, l’association Hawd Assafi, présidée par Driss Benhima, réunira son comité mercredi à Safi afin d’examiner les formes d’aide à apporter aux sinistrés.
À Safi, conclut-il, ce drame marque une rupture. «C’est la première fois que l’on voit des phénomènes de ce genre. Il faudra en tirer les enseignements, sans chercher de coupables hâtifs, mais en s’adaptant à une nouvelle réalité climatique.»

































