Il y a quelques jours, à Meknès, un médecin et son assistante ont été arrêtés alors qu’ils s’apprêtaient à pratiquer un avortement sur une jeune fille de 15 ans. Un acte qui se déroulait dans une clinique privée, en présence de la mère de l’adolescente et d’une proche de la famille… Il semble ainsi, à première vue, que dans le cadre de cet établissement privé, et en présence de la famille de la patiente, toutes les conditions souhaitables pour pratiquer un avortement étaient réunies.
Et pourtant, c’est aux éléments de la Brigade antigang de la préfecture de police de Meknès que ce petit monde a eu affaire. Pris en flagrant délit, le médecin de 71 ans et son assistante de 64 ans ont été placé en garde à vue pour tentative d’avortement clandestin. Quant à la jeune fille, sa mère et l’autre personne présente sur les lieux, elles font l’objet d’une enquête judiciaire.
Du jour au lendemain, la vie de ces personnes a basculé, et aujourd’hui, les voilà devenues des criminelles en puissance. Un fait divers parmi tant d’autres en matière d’avortement clandestin au Maroc car ce n’est pas cette arrestation médiatisée qui empêchera, à l’avenir, des femmes de se faire avorter. Quand on ne veut pas porter un enfant, quelles que soient les raisons à l’origine de cette décision, on est prête à tout pour mettre un terme à une grossesse.
Pourquoi une autre chronique sur ce sujet? Parce que tant que des gens continueront de vouloir décider à la place des femmes ce qu’elles peuvent ou ne peuvent pas faire de leur corps, nombreuses seront celles qui perdront la vie, ou la verront basculer en plein cauchemar. Voilà deux bonnes raisons de faire couler (encore) de l’encre.
La question de l’avortement qui, on le souhaite ardemment, fera peut-être l’objet d’une réforme dans le Code pénal, fait partie de ces sujets qui ne devraient pas être débattus par l’opinion publique. Comme l’a bien dit le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, elle ne devrait concerner qu’une femme et son médecin. Rien d’étrange à cela, et pourtant…
Pourquoi l’acte d’avorter pose-t-il un problème, en particulier dans une société où on encourage les femmes à adopter des moyens de contraception? Pilules contraceptives, pilules du lendemain, stérilet, gel contraceptif, spermicide, diaphragme, patch, anneau vaginal, ligature des trompes ou encore, la dernière-née au Maroc, la puce contraceptive… Tous ces moyens de contraception déployés au Maroc en toute légalité prouvent une chose, c’est que nous acceptons de concevoir une sexualité n’ayant pas la grossesse pour finalité. Autrement dit, nous acceptons l’idée d’envisager le sexe uniquement pour le plaisir.
Par ailleurs, notons que ce véritable arsenal de contraceptifs est destiné aux femmes, et rien qu’aux femmes, comme s’il leur appartenait, à elles seulement, de prendre les choses en main en faisant ce qu’il faut pour ne pas tomber enceinte. Car face à ce combat contre les grossesses non désirées, l’homme lui ne dispose que d’une seule arme, pas franchement fiable, le préservatif (oui, la pilule contraceptive masculine existe, mais c’est tellement contraignant et en plus, c’est cancérigène. Laissons cela aux femmes)… Alors pourquoi responsabiliser les femmes en matière de contraception, en leur donnant tout pouvoir sur le déroulement et l’issue de leur cycle menstruel, et leur retirer ce même pouvoir dès lors qu’elles ont «failli à leur mission», celle de se «protéger» contre une éventuelle grossesse. Cela n’a absolument aucun sens, ne répond à aucune logique, car une fois en cloque, la femme bascule dans l’illégalité et se voit signifier grosso merdo par la loi: «T’as merdé! Tu aurais dû faire plus attention… Maintenant débrouille-toi, tu es seule, on ne peut plus te couvrir.»
Pourtant, malgré les débats houleux que la question de l’avortement suscite sous nos cieux, nous sommes tout de même sacrément plus progressistes que les pays catholiques en crise avec la papauté depuis juillet 1968, date à laquelle le Pape Paul VI a condamné toute forme de contraception, n’admettant pas qu’on puisse restreindre les naissances autrement que par la pratique de l’abstinence, et ne permettant donc pas l’utilisation de contraceptifs… quitte à laisser le SIDA faire des ravages en Afrique. Au Maroc, bizarrement, cette polémique, qui divise depuis des décennies l’Eglise catholique et ses fidèles, ne nous interpelle pas le moins du monde, car on ne voit pas d’inconvénient à ce qu’un couple marié s’adonne au sexe juste pour le plaisir. C’est dire l’étendue de nos contradictions.