Pour un ancien du quartier Bourgogne (prononcer «Borgone»), habiter Mers Sultan est une trahison. Certains ne me l’ont jamais pardonné. Borgone était un quartier populaire, où la classe moyenne devait se frotter à certaines favelas à la marocaine, proches de la mer. Alors que Mers Sultan était le quartier des affaires, des chancelleries, des bistrots à la parisienne et des petits marchés où la classe moyenne française avait élu domicile.
Mais ça, c’était avant. Quand on disait, pour jouer aux durs: «Moi je ne suis pas de Casa, mais du Hay (Mohammadi), du Derb (Soltane)». Ou de Borgone, bien entendu.
Aujourd’hui, certains quittent Mers Sultan pour «Borgone» à la recherche d’immeubles neufs et cossus. Pourquoi quittent-ils un quartier authentique, sans riche ni pauvre, pour aller vers le cœur de la gentrification désordonnée à la casablancaise? Je ne vois qu’une explication: ils en ont marre de la tuyauterie. À Mers Sultan, vous allez consulter votre plombier plus souvent que votre boulanger. À part ça, tout va bien.
J’en connais qui ne quitteront jamais ce quartier. J’y suis, j’y reste. Ils en font une question d’honneur. J’ai toujours trouvé cela à la fois magnifique et triste, quand quelqu’un me dit qu’il habite l’appartement où il est né. Et que ses enfants, plus tard, feront la même chose. C’est très spécial.
Ici, les riches sont moins riches et les pauvres moins pauvres. Tous logés à la même enseigne ou presque. Il n’y a presque pas de villa, juste des «maisons». Vous pouvez tout faire à pied, et il y a à peu près tout ce qu’il vous faut pour ne jamais quitter les frontières du quartier.
«Ce quartier est une exception, parce qu’il est à la fois authentique et homogène. Il n’y a rien qui dépasse, aucun luxe. Pas de place pour la frime.»
C’est ce que dit l’article du magazine «Time out», qui a désigné Mers Sultan «Deuxième quartier le plus cool au monde». Bien sûr, le monde est petit, le classement concernait «seulement» 38 quartiers. Mais tout de même. J’ai aimé les critères qui ont porté Mers Sultan jusqu’à la 2ème place.
Ce quartier est une exception, parce qu’il est à la fois authentique et homogène. Il n’y a rien qui dépasse, aucun luxe. Pas de place pour la frime. Tout est «normal». Avec un doux parfum des années 1970-80.
Toutes ces rues étroites qui se croisent et se décroisent sont riches en surprises: un immeuble fantôme de style colonial, une enseigne de salon de coiffure vieille comme le monde, un espace vert improbable, un bistrot de quartier aux allures de saloon du Far West, un brocanteur spécialisé dans les pièces rares collé à un vieux cordonnier, un motif art déco par-ci, un bouquiniste par-là…
Et je garde le meilleur pour la fin: Mers Sultan abrite l’un des plus beaux théâtres du Maroc, mais il attend toujours d’être inauguré! Il possède aussi le plus grand cinéma de tout le royaume, mais il est en passe de fermer définitivement! Cela nous fait donc un caillou dans la chaussure, voire deux.
Le jour où Mers Sultan retrouvera son théâtre et son cinéma, il sera le quartier le plus cool au monde.