Dans une vidéo sur les réseaux sociaux, un internaute dénonce ce qu’il considère comme la chose la plus dévastatrice qui ait été inventée, plus que la bombe atomique: le smartphone! «Il a tué la montre, le téléphone fixe, la radio, la lampe, le miroir, les journaux, les magazines, les livres, le portefeuille, l’agenda et même les cartes de crédit. Il a détruit de nombreux couples et de nombreuses familles, anéanti l’affection familiale…»
Que nous soyons d’accord ou pas, le smartphone a provoqué de grandes perturbations au niveau individuel, relationnel et social. Il nous facilite énormément la vie, mais son utilisation irraisonnée est nocive.
Ahmed, 34 ans, né dans la campagne de Settat, vit sur un terrain de moins d’un hectare, appartenant à son père. Sa scolarité n’a pas duré plus de 4 ans: «Mon père peinait à nourrir mes 8 frères et sœurs. J’ai travaillé comme berger chez un voisin à partir de 10 ans.» Ahmed est toujours berger.
À 24 ans, il se construit une baraque sur le terrain familial et épouse Karima, sa cousine qui, elle, a fait 5 ans d’étude. Ils ont deux enfants et vivent paisiblement, malgré leur précarité.
Ahmed touche 250 DH par semaine qu’il répartit entre sa famille et ses parents. «Ma femme était gentille et hamda Allah en acceptant notre condition.» Mais voilà qu’un intrus bouleverse cette harmonie: « Elle a râlé pour avoir un smartphone. Je lui en ai offert un.»
Deux ans plus tard, Karima se métamorphose. «Elle passait beaucoup de temps sur son téléphone. C’est devenu une source de conflit entre nous.»
Karima a eu peu d’occasion de visiter le monde urbain. Elle l’a découvert à travers Internet. Alors qu’elle se colorait les ongles au henné, elle s’est mise au vernis. Des changements sont aussi apparus dans sa façon de s’habiller et de porter le foulard. «Elle a coupé sa belle tresse. J’étais mécontent, mais elle est jeune et c’est normal qu’elle suive la mode.»
Ensuite, un grand changement intervient dans sa relation conjugale: «Elle est devenue révoltée, agressive. Elle remettait en question notre vie, me répétait: n’ta machi rajel (tu n’es pas un homme). Je quitte la maison de l’aube au coucher du soleil. Elle ne préparait plus le dîner, sous prétexte qu’elle avait trop de charges.»
Le couple a commencé à se fissurer. Que s’est-il passé dans la tête de Karima? Elle a été influencée par des vidéos. La télévision informe les femmes rurales sur l’évolution des citadines et leur permet des transformations sans grandes perturbations.
Mais les réseaux sociaux ont un grand impact, entraînant de grandes frustrations. Les femmes rurales comparent leur mode de vie avec celui des citadines et se sentent défavorisées. Des vidéos trompeuses donnent l’illusion que la richesse est facilement accessible. Elles présentent un monde idéalisé où la consommation et le faste sont les valeurs essentielles des femmes.
Des vidéos toxiques de certaines influenceuses menacent la stabilité des couples. Elles poussent les épouses à la rébellion, au non respect, à l’agressivité vis-à-vis des époux, dans un langage vulgaire, haineux. «Ne fais que ce que tu veux sans écouter la’dou (l’ennemi) ou lahrami (bâtard). Si ajjifa (charogne) te parle sans te regarder, tourne-lui le dos. S’il est mécontent, divorce, tu trouveras mieux. Jette-lui ses enfants pour qu’il t’apprécie…»
Ces vidéos incitent les femmes à ne s’intéresser qu’à leur corps qu’elles monnayent auprès de l’époux: «S’il ne te fait pas de cadeau, révolte-toi. Pas de sacrifice. S’il ne te satisfait pas, machi rajel. Envoie-le chez sa mère…»
«Ce couple a vécu 11 ans avec la même perception du bonheur. Mais Karima a eu d’autres éléments de comparaison. Elle est victime d’influenceuses pour qui les hommes ne sont qu’un portefeuille dont elles tirent profit.»
Ahmed: «Karima veut des cadeaux pour son anniversaire, la fête des femmes (8 mars), la fête de l’amour (Saint-Valentin), les fêtes religieuses. Sinon, je ne suis pas un homme!»
Karima est partie avec ses enfants chez sa sœur en ville, elle-même précaire. Elle demande le divorce. Elle se plaint des privations et de ne pas voyager.
«Elle n’a plus honte. Elle a publié une vidéo où elle est maquillée et où elle chante.» Une vidéo qu’elle a partagée juste avec ses sœurs. Mais Ahmed pense que tout le monde y a accès.
Ce couple a vécu 11 ans avec la même perception du bonheur. Mais Karima a eu d’autres éléments de comparaison et veut du luxe. Elle est victime d’influenceuses aux mœurs douteuses, pour qui les hommes ne sont qu’un portefeuille dont elles tirent profit.
Ahmed me supplie: «Dis aux hommes de surveiller leurs femmes.» Non, je ne dirai pas cela aux hommes. Je dis aux femmes d’éviter ces influenceuses sans scrupules qui cherchent le buzz en détruisant des couples !
Karima a le droit de rêver d’une autre vie. Mais pourrait-elle se l’offrir en divorçant, en vivant en ville sans moyens? Ahmed: «J’aime ma femme. Mais je ne peux lui offrir la vie dont elle rêve.»
Pour son entourage, Karima zaghete, dasrate, thallou liha l’âaynine, kharjou rajliha mine chwari, mabka ‘liha hkam (a dépassé les limites)… Mais peut-on lui reprocher son ambition et son rêve d’une vie meilleure? Un rêve malheureusement démesuré par rapport à sa réalité.
La seule occupation des femmes en milieu rural est le smartphone et la télévision devant laquelle elles passent en moyenne 7 heures par jour. Aucun loisir ni possibilité d’apprentissage de travaux manuels ou autres pour augmenter leur pouvoir d’achat. L’oisiveté!
Pourtant quelques femmes rurales ont su tirer profit du smartphone: apprentissage d’un métier, travaux manuels, articles destinés à la vente, amélioration du mode de vie…
Karima est revenue chez elle, avec la promesse faite par son mari de prendre une semaine de congé par an, pour aller à la mer. Une concession qui, j’espère, stabilisera ce couple.
Mais l’influence des réseaux sociaux poussera toujours Karima et ses semblables à refuser leur réalité et à rêver d’une vie plus confortable. Seules une scolarité et une formation de qualité pourraient réaliser une partie de leurs rêves.