«Les journalistes indépendants au Maroc subissent une pression continue, et le pouvoir tente de mettre ce secteur aux ordres», alors que «la pluralité de la presse marocaine n’est qu’une façade, et les médias ne reflètent pas la diversité des opinions politiques dans le pays», écrit Reporters sans frontières (RSF) concernant le Maroc dans son rapport sur la liberté de la presse dans le monde au titre de l’année 2023.
Selon l’ONG internationale, la situation au Maroc est passée de «difficile» à «problématique», alors que le pays a reculé, en une année, de 9 places, passant du 135ème rang au 144ème au classement mondial.
Ainsi, à en croire RSF, la situation de la liberté de la presse au Maroc serait inquiétante. Mais l’erreur serait justement de croire RSF, une organisation dont «la crédibilité est contestée même au sein du pays qui l’abrite et la finance (la France, NDLR)», prévient Younes Mjahed, président du Conseil national de la presse (CNP).
Une démarche «critiquable»
C’est surtout la démarche selon laquelle est élaboré le classement annuel de RSF sur la liberté de la presse qui est biaisée, selon Younes Mjahed. «Le problème principal est (lié à) comment est élaboré ce rapport, quelle méthodologie il adopte et sur quelles données il se base», affirme-t-il.
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Les réponses à ces questions sont suffisantes pour prouver qu’il s’agit d’un classement dénué de toute crédibilité, estime le président du CNP. «Avant d’élaborer un quelconque rapport ou classement, il faut tenir compte d’abord de ce qui se passe réellement dans ce pays et consulter les instances, institutions et organisations nationales et qui y travaillent», étaye-t-il.
Une démarche que RSF ne «fait jamais», indique le journaliste, donnant l’exemple du Syndicat national de la presse marocaine. Si l’ONG internationale ne prend même pas la peine de consulter ce syndicat qui «publie annuellement un rapport sur la liberté de la presse au Maroc» et est «connu pour sa lutte et sa défense des journalistes et de la liberté d’expression», c’est que «ce qui intéresse RSF, ce sont les avis de leurs amis».
Un rapport «déjà écrit»
Résultat de cette démarche viciée? Quand RSF arrive au cas du Maroc, elle «atterrit avec en tête un rapport déjà écrit», répond Younes Mjahed, soulignant que ce sont toujours les mêmes reproches et critiques qui ciblent le Maroc, sans égard à la situation et la réalité du pays. «RSF tire sur tout ce qui bouge au Maroc. Et ce n’est pas nouveau», rappelle-t-il.
«Ils arrivent (RSF, NDLR) avec une vision unique et une position figée», clame encore le président du CNP, non sans rappeler l’erreur et la subjectivité de la démarche de l’organisation. «Ils partent toujours à la rencontre de quelques activistes ou petites organisations qui répètent la même chose», ajoute-t-il. Une démarche qui ne permettrait point de construire un avis un tant soit peu objectif.
Une autre preuve de la subjectivité du classement: «Pour les trois cas des journalistes détenus, RSF n’a jamais eu un quelconque contact avec les plaignants, ni avec leurs avocats ou familles», soulève Younes Mjahed. Et de poursuivre: «Ils ne veulent même pas connaître leur version (les plaignants, NDLR) des faits et vont directement vers les journalistes qu’ils considèrent victimes».
Agendas politiques
Si la crédibilité du rapport de RSF est également entamée au vu des «informations fausses» et «mensongères» qu’il contient. Younes Mjahed évoque le nombre des journalistes emprisonnés au Maroc. «Le rapport mentionne 11 journalistes détenus au Maroc, en plus de 3 activistes collaborant avec les médias. Mais qui sont ces 11 journalistes?», s’interroge-t-il avant de répondre que «seulement trois journalistes sont détenus au Maroc, tous pour des affaires qui n’ont rien à voir avec la liberté de la presse, ni avec l’exercice de la presse».
Selon le président du CNP, les mensonges contenus dans le rapport de RSF ne sont pas du tout une surprise, car c’est la crédibilité de toute l’organisation qui suscite des doutes. Younes Mjahed rappelle la position des syndicats français des journalistes, qui «contestent le travail de RSF et considèrent que c’est une organisation qui n’a aucune crédibilité».
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Et pour étayer davantage sa position, il partage une anecdote: «Quand j’étais président de la Fédération Internationale des Journalistes, qui représente les syndicats de journalistes dans le monde, nous ne participions pas à des événements où RSF était présente, car nous considérions que c’est une organisation qui travaille pour des agendas politiques qui n’ont rien à voir avec la liberté de la presse ni avec les principes des droits de l’Homme.»
Guerre ouverte
Les données communiquées par RSF laissent place à une autre question, des plus fondamentales: «Qu’est-ce qui a changé au juste, entre 2022 et 2023, et qui a coûté au Royaume la perte de 9 places sur ce classement?», s’interroge Younes Mjahed. La réponse est simple: «La seule nouveauté est la résolution adoptée par le Parlement européen contre le Maroc.» Cette «position politique», poursuit-il, a «intégré l’imaginaire» de RSF sur le pays et s’est traduite dans son rapport.
«C’est une position hostile au Maroc qui a conditionné le classement», poursuit Younes Mjahed, qui en veut pour preuve la note attribuée à certains pays de la région connus pour leurs abus envers la presse et les libertés fondamentales. Ces pays sont mieux classés que le Maroc, alors qu’«on connaît très bien ces pays, tout le monde sait très bien ce qui se passe dans ces pays et connaît la situation de la presse là-bas».
C’est le cas de l’Algérie, classée en 136ème position, alors que le régime à la tête de ce pays mène une guerre ouverte contre les médias nationaux et les journalistes. Rappelons que l’année 2022-2023 a été marquée par les fermetures successives de plusieurs médias, ainsi que l’arrestation de nombreux journalistes.
Pour comprendre réellement les résultats de ce classement, il faut voir le contexte politique, indique Younes Mjahed, rappelant que «quand on parle de Reporters sans frontières, on parle de la France». Et là, «nous sommes devant un pays européen, qui a des alliances avec d’autres pays et d’autres forces qui considèrent que le Maroc ne peut pas prétendre à une souveraineté totale. Pour eux, le Maroc doit rester sous tutelle»,
C’est donc dans ce contexte que des ONG telles que RSF, ou même certains groupes relevant d’instances européennes, critiquent le Maroc, et derrière ceux-ci, conclut Younes Mjahed, «il y a toujours des forces, des Etats, des lobbys, des bailleurs de fonds».