Le pouvoir créateur du verbe constitue un invariant spirituel que l’on retrouve dans toutes les traditions du monde. Par la puissance du verbe, une prière vocalisée d’une manière particulière et par une personne investie par les puissances sacrées peut posséder des vertus réparatrices ou, au contraire, maléfiques.
Dans la tradition abrahamique, le pouvoir créateur de Dieu s’exprime par le verbe. Dans le livre de la Genèse, on peut lire dans le 3ème verset: «Dieu dit: Que la lumière soit! Et la lumière fut». Dans le Nouveau Testament, plus précisément dans l’Évangile selon Jean, on peut lire dès les premiers versets: «Au commencement était le Verbe (...). Toutes choses ont été faites par Lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans Lui.»
Dans la Sourate «Ya Sin» du Coran, on peut lire dans le verset 82: «Quand Il veut une chose, il n’est pour Lui que de dire: “Sois!”, et la chose est.»
De même, cet aspect démiurgique de la parole sacrée n’a pas échappé aux traditions occultistes ou relevant du monde de la magie, qu’elle soit noire ou blanche. Des formules magiques à l’instar d’«abracadabra» ont peuplé l’imaginaire de millions d’enfants à travers des histoires, des films et des dessins animés.
L’autre aspect dans cet imaginaire mythique, c’est que le magicien n’a nul besoin de comprendre dans les moindres détails les mécanismes qu’il met en œuvre pour obtenir le résultat souhaité. Il lui suffit juste de prononcer correctement une phrase ou une formule et l’univers se charge du reste.
N’en va-t-il pas de même pour l’intelligence artificielle (IA) aujourd’hui? Du moins, pour les profanes que nous sommes. Ne suffit-il pas de réaliser le bon «prompt» pour obtenir un résultat époustouflant?
Aujourd’hui, n’importe qui peut, à condition de formuler les bonnes phrases, obtenir, tel un magicien, une image sublime, une musique unique ou encore un texte structuré, sans avoir jamais fait l’École des beaux-arts, le Conservatoire, ou un atelier d’écriture. C’est la magie à la portée de tous.
Aujourd’hui, un nouveau métier est en train de naître sous nos yeux, le métier de «prompt engineer»: les mages du XXIème siècle. Le prompt engineer, c’est l’homme qui murmure à l’oreille de l’IA, celui qui maîtrise l’art de formuler les bons prompt pour obtenir les meilleures créations.
Or, comme on l’a évoqué précédemment, s’il existe une magie blanche, c’est qu’il existe bel et bien une magie noire. Et l’IA, comme toute nouvelle technologie, se prête parfaitement à ce double usage, à cette ambivalence.
Certains ont appelé à la combattre comme prétendaient le faire les inquisitions de tous bords de par l’histoire. D’autres désirent de manière illusoire ralentir son élan. Enfin quelques illuminés, à l’instar de Laurent Alexandre, y voient, dans une perspective quasi mystique, le salut de l’humanité, nous promettant un avenir radieux sous le règne de l’IA.
Une voie médiane existe. Elle ne voit l’IA ni comme une menace existentielle ni comme un messie technologique, mais tout simplement comme une baguette magique dont la pertinence de l’usage dépend de la morale de celui qui la manipule. Car au fond, qu’il s’agisse de la poudre à canon, de la machine à vapeur ou de l’IA, le problème n’a jamais été la technique; le problème, ce fut toujours l’homme, ses vices, ses penchants, ses délires et son hubris.
On en revient donc au fondement de toute tradition, à savoir à la nature ambivalente de l’âme humaine et la nécessité de l’éduquer et de l’élever. Ainsi, avant de prétendre freiner ou sacraliser l’IA, ne faudrait-il pas penser à en faire de même avec notre hubris et nos vices?