Des jeunes issus de plusieurs régions du Maroc. Beaucoup de mineurs. Quelques jeunes filles. Quelles leçons tirer de ce drame ?
Le danger des réseaux sociaux. Quels seront les prochains appels à la désobéissance? Ces jeunes sont vulnérables à cause de leurs insatisfactions, de leur addiction aux écrans et de la confiance aveugle en des personnes qui, à travers des vidéos, déversent leur haine sur le Maroc.
Les jeunes subissent un lavage de cerveau. Ils finissent par détester leur pays et à considérer qu’il n’y a aucun espoir d’inclusion. L’hrig leur est présenté comme la baguette magique pour réussir hors du pays. Le nouveau mot d’ordre est nriski (je risque). L’État devrait contrôler le contenu des plateformes numériques pour protéger nos jeunes.
Les appels à l’assaut collectif ont été envoyés par des comptes ouverts il y a un an, hors du Maroc. Une campagne a été minutieusement élaborée pour pousser à la rébellion.
Des fake news ont circulé, annonçant que l’Espagne facilite la régularisation des clandestins. Des vidéos trompeuses ont présenté des migrants clandestins ayant réussi rapidement. Une campagne amplifiée par les Marocains grâce aux partages.
Ces jeunes sont des NEET, acronyme issu de l’anglais Not in Education, Employment or Training. Ni en emploi, ni en études, ni en formation. Ils sont 1,5 million dans la tranche de 15 et 24 ans.
Plus de 1 sur 4 est au chômage, mais 7 sur 10 sont inactifs! Le chômeur est une personne sans emploi, mais qui en recherche un. Les inactifs ne travaillent pas et ne cherchent pas à travailler.
37% des femmes de 15 à 24 ans sont des NEET, contre 13,5 % des hommes. Les NEET représentent la moitié des ruraux, et plus du tiers des citadins de cette tranche d’âge. Les régions les plus touchées sont celles de Béni Mellal-Khénifra et de l’Oriental.
Parmi les NEET, il y a des diplômés, mais la majorité est sans qualification, déscolarisée.
«Attention au mythe de l’Eldorado, entretenu par les réseaux sociaux et par nombre de nos émigrés qui exhibent des signes de richesse souvent simulés.»
En 2023, 300.000 élèves ont arrêté leurs études, parmi eux, 63.554 ont été exclus! Un élève doit rester scolarisé jusqu’à 15 ans. Chaque exclusion est un échec de la politique de l’éducation. Quelles que soient ses difficultés, il devrait être suivi par des assistantes sociales ou des psychologues de son établissement.
Nous évoquons toujours l’échec de l’enseignement, sans responsabiliser les enseignants, trop nombreux à utiliser une pédagogie de violence verbale et physique, de mépris et de peur. Un élève dont on respecte la dignité, que l’on valorise, aime l’école et s’y accroche. Or, souvent, l’école marocaine, publique et parfois même privée, détruit la personnalité et l’estime de soi. Elle écrase les élèves ayant des difficultés scolaires ou comportementales et détruit en eux le sens de l’initiative et la confiance en l’avenir. Elle les fait fuir l’école. C’est là que commence la hogra, ce sentiment d’injustice et de dédain.
Ces jeunes ont tenté d’émigrer à cause de la précarité et du désespoir. Mais attention au mythe de l’Eldorado, entretenu par les réseaux sociaux et par nombre de nos émigrés qui reviennent frimer avec des signes de richesse souvent simulés. Ils donnent l’impression de vivre dans l’opulence, qu’il suffit de traverser la frontière pour s’enrichir. Ils sont valorisés par leur entourage et narguent ceux qui n’ont pas pu partir.
Ce mythe détruit l’effort. Beaucoup de jeunes refusent de se former, d’avoir un métier, de s’améliorer. Ils attendent passivement le départ.
Ce mythe séduit même des jeunes de familles non précaires. Certains ont participé à l’assaut collectif.
Lors d’une enquête sur les mineurs ayant migré à Mellilia, toutes les familles que j’ai rencontrées n’avaient qu’un projet pour leurs enfants: émigrer. Des familles avaient déjà fait migrer clandestinement un ou deux de leurs enfants et projetaient le même sort pour les plus jeunes. Des parents abandonnent leurs enfants à Mellilia, près du Centro, le centre d’accueil des mineurs non accompagnés. Beaucoup n’étaient pas pauvres. Les mineurs y sont scolarisés ou formés. Majeurs, ils vont en Espagne.
«Outre leurs difficultés socio-économiques, les jeunes ont des rêves décalés de la réalité: richesse immédiate, sans sacrifices, sans efforts.»
Le rêve du départ est entretenu par les familles. L’Europe garantissait la réussite, mais plus aujourd’hui. Ses propres populations souffrent. Nos jeunes refusent d’y croire. Beaucoup, s’ils ne sont pas avalés par la mer, se retrouvent à mendier, sans domicile, enrôlés dans la prostitution ou la vente de stupéfiants. Le retour au bled est impossible. C’est un échec. Les familles se sacrifient pour payer les traversées. Revenir, c’est devenir la risée du quartier et de la famille.
Outre les difficultés socio-économiques, les jeunes ont des rêves décalés de la réalité: richesse immédiate, sans sacrifices, sans efforts, comme l’exemple des influenceurs ou des stars à travers le Web. Ils pensent y arriver en Occident.
Mêmes dans les familles plus ou moins aisées, le départ est souhaité, motivé par l’espoir de la garantie de la justice, de l’emploi, de salaires adaptés au niveau de vie, de la prise en charge maladie et chômage, de la scolarité des enfants et de l’obtention d’une nationalité pour circuler librement sans contrainte de visa.
Les jeunes représentent une grande proportion de la population. Malgré les efforts déployés par l’État, les besoins restent énormes.
En rupture scolaire, ils doivent intégrer l’école de la seconde chance ou une formation diplômante et être conseillés pour leur intégration professionnelle.
Ils ont besoin de s’occuper sainement dans des activités culturelles et sportives gratuites pour éviter les dangers de l’oisiveté. Ils devraient être formés à la citoyenneté dans des associations et des partis politiques.
Et éduqués à l’amour de leur pays, à être acteurs du changement, au lieu d’attendre que tout leur soit offert sur un plateau d’argent ou de fuir vers d’autres contrées.