Le Rijskmuseum d’Amsterdam, l’un des plus beaux et plus riches musées du monde, vient de subir une transformation complète qui a duré huit bonnes années. Il est devenu encore plus agréable à visiter, les œuvres d’art sont mieux mises en valeur et on peut désormais y faire une pause-café ou même une pause-déjeuner à la hauteur de la réputation de ce haut lieu de la culture occidentale.
Dans la foulée, la direction du Rijksmuseum a décidé de rénover autre chose: les descriptifs des œuvres exposées ou conservées dans les réserves. En effet, lesdits descriptifs contiennent des termes jugés offensants. Des plaintes sont régulièrement déposées par des visiteurs courroucés qui n’admettent pas de voir, par exemple, le mot «nègre» dans le petit carton qui accompagne un tableau du XVIIe siècle même si c’était le mot courant, à l’époque, et même s’il figure dans le titre du tableau.
Ce sont donc vingt-trois termes qui vont être bannis du vocabulaire du «Rijks», du site internet, des descriptifs, etc. Outre «nègre», on y trouve aussi «esquimau», «sauvage», «hottentot» - pour ce dernier mot, les Khoï-Khoï d’Afrique australe, dont certains descendants ont maintenant les moyens de venir à Amsterdam et de visiter le musée national, ne peuvent évidemment pas accepter d’être désignés par un sobriquet qui signifie «bègue»…
Et nous, alors ? Eh bien, sonnez hautbois, résonnez musette : la direction du musée a décidé de supprimer les mots «maure» et «mahométan» pour ne plus nous faire de la peine. Et c’est là que je m’interroge : le political correct ne va-t-il pas un peu trop loin, dans ce cas ? Ça vous fait vraiment de la peine, vous, de vous faire traiter de «maure» ou de «mahométan» ? Pour ce qui est de ce dernier mot, à la limite, oui, on peut s’en formaliser : on peut estimer que c’est insultant parce que ça suggère que l’islam est la création d’un homme. Mais «maure» ? Traitez-moi de Maure tous les matins, je prendrai mon petit déjeuner avec la même équanimité.
Mes étudiants espagnols m’assurent que «Moro» est une insulte en Espagne. Et alors? C’est leur problème, pas le nôtre, c’est dans leur tête. Moi, je pense à «la belle Mauresque aux yeux de braise», à «l’art maure», à la «Maurétanie tingitane», ce nom magique qui enchantait nos cours de géographie. N’oublions pas que les Maures, à Cordoue, il y a mille ans, étaient infiniment plus civilisés que les tribus barbares germaniques qui peuplaient l’Europe du Nord et dont descendent les Néerlandais actuels, urbains jusqu’au bout des ongles. C’est pourquoi je lance ici un appel solennel au Rijksmuseum, qui a de bonnes intentions mais va trop loin dans leur exécution : touche pas à mon Maure !