Suite des aventures du désormais célèbre Abdelilah El Ajjout, le «moul hout» (poissonnier) qui casse les prix du marché. On a tous suivi comment il s’est attiré la sympathie du petit peuple et les foudres des gros poissons qui contrôlent le secteur. À Marrakech, on a commencé par lui fermer son commerce avant de le rouvrir, face à la pression populaire. Tant mieux puisque son succès a été décuplé, au point que le jeune homme est en train de transformer sa petite affaire (ironiquement appelée le «port» de Marrakech) en franchise. Abdelilah, en effet, vient d’ouvrir un commerce à Agadir!
Après Marrakech, les gros poissons d’Agadir vont trembler à leur tour. Si le jeune homme réitère son exploit, en vendant beaucoup moins cher que la concurrence, c’est tout le marché d’Agadir qui sera obligé de revoir ses tarifs à la baisse. La règle est simple comme bonjour: il faut s’aligner sur celui qui vend moins cher, quitte à perdre sa marge. La solution? Réduire les commissions et casser le circuit des intermédiaires.
Il faudra suivre de très près ce jeune homme. S’il a allongé le pas jusqu’à Agadir, rien ne pourra l’empêcher de le faire dans d’autres villes du royaume. À commencer par la plus grande: Casablanca, qui redistribue ou approvisionne directement une grande partie du marché national.
Que se passera-t-il alors? Jusqu’où ira ce garçon surgi de nulle part, et qui est en train de faire bouger les lignes?
Ce qu’il fait, ce qu’il réussit, d’autres peuvent le faire et le réussir. Dans le secteur du poisson et ailleurs. Surtout ailleurs.
Quand le gouvernement nous parle de réformer ci ou ça, comment résister à l’envie de leur dire: regardez ce que fait ce jeune homme, faites comme lui!
Il a mis à nu un système de clientélisme et de monopoles divers qui fait qu’au final, une marchandise est revendue beaucoup trop chère à son destinataire final: le consommateur. Il donne la preuve que la marchandise est trop chère parce que les marges de bénéfice sont trop grandes et la chaine des intermédiaires et des commissions trop longue. Entre autres dysfonctionnements.
Cet engrenage n’est pas fatal. Il est le résultat d’un certain nombre de mauvais réflexes et d’anomalies structurelles, qu’il est possible de corriger ou de réduire.
La cherté de la vie et la flambée des prix sont une bombe à retardement. Les dernières grandes émeutes à portée nationale remontent à 1981, et elles étaient directement liées au prix de la «koumira» (baguette de pain). Petite cause, grands effets.
Au Maroc, beaucoup croient à ce dicton qui dit: «Allah yjib l’ghafla bin l’baye’ ou chari». La formule est intraduisible mais, dans son essence, elle installe la possibilité, bien licite, d’une marge de «duperie» dans la transaction entre celui qui vend et celui qui achète. Cette formule est dangereuse parce que facilement dévoyée. Le glissement sémantique de la notion de «ghafla» nous emmène tout droit à l’arnaque et à l’escroquerie. Sur la qualité de la marchandise ou sur son prix.
Ce n’est pas la «ghafla», mais le «maâkoul» (droiture et honnêteté), qui doit réguler toute transaction commerciale. C’est ce que nous dit Abdelilah, à sa manière.
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