Les heures sont longues. La faim taraude les estomacs. Les frustrations torturent les addicts au café, au thé et à la cigarette.
Les croyants fantasment sur une belle table, bien garnie, selon les goûts et les désirs de chacun. Le ftour, un moment très attendu, réunit familles et amis. C’est le mois des ch’hiwates (fantasmes culinaires), des fchouches (caprices). Dans un même foyer, il y a autant de désirs et d’exigences que de personnes. Les maîtresses de maison sont mises à rude épreuve: satisfaire tous les membres de la famille est quasi-impossible.
Ramadan, mois de la modération, est pour les maîtresses de maison le mois des corvées quotidiennes. Surtout dans les foyers nucléaires, où il n’y a que l’épouse pour assurer les repas du ftour, du dîner et parfois également celui du shour, à l’aube. Les aides ménagères, pour celles qui ont les moyens de s’en offrir, deviennent rares, car très sollicitées.
Les caprices se multiplient, se diversifient, s’intensifient, s’imposent. Dans un foyer où il y a plusieurs générations, la ménagère doit gérer également les petits-déjeuners, les déjeuners et les goûters des enfants qui ne jeûnent pas.
Jour et nuit, elles réfléchissent aux menus pour éviter les réclamations qui les irritent, les vexent. Ce que les membres de la famille ne comprennent pas.
Elles triment tellement qu’autour de la table, elles ont besoin d’une trêve, d’un repos, d’une accalmie, d’un petit chwiya de compassion, de reconnaissance et de gratitude en compensation de toute l’énergie qu’elles déploient pour satisfaire leurs envies. Elles peuvent être tellement épuisées, surtout quand elles travaillent également hors du foyer, que la moindre remarque les blesse. Recevoir des invités devient source d’angoisse, non seulement pour remplir la table, mais également pour financer les divers mets dont les prix des ingrédients ont doublé.
Les sources de mécontentement sont diverses. Moi, je veux rompre le jeûne avec une gorgée d’eau et une date, toi avec un jus de fruit léger, lui, plutôt lourd et onctueux. Jus d’orange, mais avec banane. Non, pas de banane, des pommes. Lui veut un jus à base de lait, avocat et amandes. Toi, tu veux ton jus à température ambiante, elle, bien frais.
Le lait devient source de discorde: froid sans sucre, à peine sucré, avec de l’eau de fleur d’oranger et, pourquoi pas, un jaune d’œuf frais et de la cannelle pour remonter les cœurs affaiblis. Moi, beurk! Écœurant ton lait! Chaud, sans sucre, non, à peine sucré, non, bien sucré, avec une goutte de café, non, noss-noss (moitié-moitié), noyé de café fort, non, une goutte de lait chaud, sucré à point, avec beaucoup de café, mais un café très léger, sinon c’est l’insomnie…
L’œuf? À chacun son œuf! Certains le veulent au plat, avec ‘wyna (jaune liquide), d’autres le veulent poché, avec sel et cumin, d’autres avec sel et paprika, ou plutôt du poivre. Certains veulent le jaune dur, d’autres, moelleux. Pas cuit dans du beurre animal, mais végétal. Dans de l’huile d’olive, non, sans gras. Un œuf à la coque, mais liquide. Non, le blanc dur et le jaune liquide. Dur, épluché, mais brûlant. Dur, épluché, mais froid, coupé en deux, saupoudré de cumin. Non, dur, chaud, mais pas épluché…
«Hak elmalhe: le droit du sel ou la contrepartie du sel. C’est l’expression de la gratitude du mari envers son épouse, la reconnaissance de ses sacrifices et de ses efforts durant le mois de ramadan.»
Les scénarios sont multiples, y compris pour le pain, les laitages, les tajines, les horaires des repas… Aujourd’hui, quelques jeunes époux aident au foyer. Mais la grande charge revient encore et toujours à l’épouse. Ce qui nous amène à ce fameux hak elmalhe!
Hak elmalhe: le droit du sel ou la contrepartie du sel. Une ancienne tradition, purement tunisienne, qui s’est répandue récemment dans les pays du Golfe. C’est l’expression de la gratitude du mari envers son épouse, la reconnaissance de ses sacrifices et de ses efforts durant le mois de ramadan pour satisfaire son mari et ses enfants, afin qu’ils passent un mois dans la sérénité, l’opulence et la satiété. À l’approche de l’Aïd, le mari doit gratifier son épouse en lui offrant un cadeau.
Ces épouses ont dorloté les leurs, tous les jours, avec des mets quotidiennement renouvelés, avec amour et passion, alors qu’elles-mêmes subissaient la fatigue du jeûne.
En Tunisie, la coutume voulait que le cadeau soit une somme d’argent ou un bijou en or ou en argent. Mais cette habitude n’est plus perpétuée par les jeunes. Le coût de la vie s’élève sans cesse face à un pouvoir d’achat stagnant. Les besoins des ménages se sont multipliés. La grande partie du budget conjugal est réservée aux enfants et à leur scolarité. Le prix des bijoux en argent, encore plus en or, a considérablement augmenté, devenant inaccessible pour la majorité des époux.
Mais curieusement, cette ancienne habitude tunisienne, en perdition, a commencé à s’implanter au Maroc, depuis près de 3 ans. Une enquête auprès de bijoutiers me permet d’affirmer que ces derniers voient leurs ventes augmenter à la fin de Ramadan. Beaucoup d’épouses revendiquent leur hak elmalhe, qu’elles considèrent légitime. Des vidéos qui circulent dans les réseaux sociaux les encouragent à le réclamer.
Vu le prix des bijoux, ce hak ne concerne que des couples plus ou moins aisés. Chez la majorité des couples, surtout dans le monde rural, il y a une autre préoccupation: trouver les moyens pour remplir elgamila (la marmite).
Hak elmalhe. Une belle intention de l’époux pour exprimer sa gratitude à l’épouse. À défaut de bijoux luxueux, elkalima tayyiba (tendres paroles), considérée comme une sadaka (aumône) par l’Islam, est une tendre manière d’exprimer sa gratitude à l’épouse qui a servi généreusement sa famille pendant ce mois sacré. Elle est gratuite et son effet est immédiat sur la satisfaction de l’épouse. Ne l’oubliez pas, messieurs!
Ramadan moubarak saïd.
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