Tolérance

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun.. Le360

ChroniqueSi des individus ont osé menacer deux intellectuels avec la promesse de les égorger, c’est que derrière ces fanatiques, il y a la folie des réseaux sociaux et la démagogie de responsables politiques qui utilisent l’Islam pour se maintenir dans la vie politique, malgré leur défaite cuisante aux dernières élections législatives.

Le 26/08/2024 à 11h03

Seriez-vous surpris si je vous disais que, nous, citoyens de ce pays magnifique, nous ne sommes pas tolérants, donc pas démocrates et pas libres? Le dialogue, dans un débat où des idées antagonistes s’affrontent, est de l’ordre de l’irréel. Voici ce que rapporte le quotidien Assabah:

«Menaces de mort proférées contre l’historien Koullab et Assid. Sur les réseaux sociaux, une discussion a pris une dimension dangereuse après que deux individus ont menacé d’égorger l’historien Abdelkhalek Koullab et le penseur Ahmed Assid. Ils accusent les intellectuels de combattre l’Islam. Sur les colonnes d’Assabah, Koullab a souligné que, depuis deux ans, il s’était habitué à recevoir, sur les réseaux sociaux, des menaces de la part certains activistes dont la plupart résident à l’étranger. « Les deux jeunes qui ont promis de m’égorger sont certainement manipulés par des parties invisibles me reprochant mon discours nationaliste modéré, qui n’est pas fondé sur le racisme et la division entre les Marocains », a-t-il ajouté».

La tolérance est le respect, l’acceptation et l’appréciation de la richesse et de la diversité des cultures de notre monde, de nos modes d’expression et de nos manières de signifier notre qualité d’êtres humains. C’est une valeur fondamentale pour le vivre-ensemble. Sans tolérance, c’est le règne de la loi du plus fort, sans droit, sans justice, sans liberté. C’est la porte ouverte à la barbarie.

La liberté est quelque chose qui dérange les extrémistes, ceux qui tranchent la question avec un sabre.

Comment vivre dans un pays où la contradiction est pratiquement mise entre parenthèses sous peine de se voir couper la tête par des fanatiques? Comment faire évoluer une société si des intellectuels de tous bords ne la critiquent pas?

Nous ne sommes pas en Corée du Nord, où une pensée unique et rigide règne sur des millions de personnes. Nous sommes au Maroc, un pays connu pour son ouverture sur les autres pays et les autres cultures.

En fait, si des individus se sont permis de menacer un penseur avec lequel ils ne sont pas d’accord, c’est que l’exemple a maintes fois été donné par un dirigeant politique, rompu aux menaces et aux diatribes de la haine. J’en sais quelque chose. Mais cet individu, qui a eu des responsabilités importantes dans le pays, ne mesure pas les conséquences de ses délires et de ses accusations.

Cet individu manque d’éducation et de dignité. Il permet par son comportement à des esprits pauvres de pratiquer la haine et les menaces sanglantes. Il ne se rend pas compte qu’il trahit l’Islam et les valeurs qui le fondent. Mais ce type vit avec une retraite exceptionnelle, satisfait de lui-même, de ses pensées et de ses actions. Il se croit tout permis.

Si des individus ont osé menacer deux intellectuels avec la promesse de les égorger, c’est que derrière ces fanatiques, il y a la folie des réseaux sociaux et la démagogie de responsables politiques qui utilisent l’Islam pour se maintenir dans la vie politique, malgré leur défaite cuisante aux dernières élections législatives.

Les réseaux sociaux sont les égouts de la société. On y jette ses défoulements et ses frustrations tout en restant anonyme. Je ne connais pas de société où les réseaux sociaux évitent ce déferlement de n’importe quoi. Partout, cela sent mauvais, et une grande majorité de gens s’y engouffre avec ses ressentiments, ses envies et jalousies, sa médiocrité et surtout son ignorance satisfaite.

La tolérance, ça s’apprend, dès l’école primaire. C’est une valeur qui doit être inculquée aux enfants. Elle est du même ressort que le respect, le refus de la corruption et du mensonge.

Je ne connais pas les programmes de nos écoles. Mais une ou deux heures d’éducation civique hebdomadaires seraient nécessaires pour permettre aux jeunes esprits d’être formés, dégagés de toutes ces pollutions qui les guettent en dehors de l’école.

Le fait qu’une valeur comme «la liberté de conscience» ne figure pas dans notre Constitution autorise des ignorants à s’attaquer à des personnes qui ne pensent pas comme eux. De tous les pays musulmans, seule la Tunisie a osé inscrire cette valeur dans sa loi suprême.

La liberté de conscience, c’est la liberté de croire ou de ne pas croire, et que cela reste dans le domaine strictement privé. Chacun est responsable devant sa conscience, pas devant des hurluberlus, écervelés et prêts à ôter la vie aux autres, simplement parce qu’ils ne pensent pas comme eux.

C’est une situation étrange aux dérives dangereuses. La justice devrait prendre au sérieux ce genre de menaces. De la parole à l’acte, il n’y a parfois qu’un infime voile.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 26/08/2024 à 11h03