L’avortement restera toujours une question discutable. Même quand 21 nouveaux siècles se seront ajoutés à notre ère, il y aura celui qui dira oui, et l’autre qui dira non. C’est un débat byzantin que l’on ne tranchera pas, même après avoir réussi à déterminer le sexe des anges.
Cette question ne dépend pas des lois civiles ni de la religion. Elle relève de la psyché individuelle, de ce que chacun interprète comme étant conforme ou non au bon sens.
En plus simple: c’est ce petit doigt qui vous dit «oui, oui, fais-le!», ou alors «recule, recule!».
Dans le fond, au-delà des pesanteurs liées aux contraintes religieuses et légales, le fond du débat est très simple. Les Non diront toujours: «On n’a pas le droit de tuer un être vivant». Les autres leur diront toujours deux choses. La première, c’est qu’avant un certain âge de la grossesse, le fœtus n’est pas considéré comme un être vivant. La deuxième, c’est: quel avenir attend un nouveau-né non désiré?
Dans les pays qui ont légalisé l’IVG, ce qui a compté, ce qui a triomphé, c’est la liberté de la femme de disposer de son corps. Dans un pays comme le nôtre, il y a cette liberté qui est bafouée, mais il y a aussi l’interdiction de l’adoption plénière, qui réduit dès le départ les possibilités pour un né sous x.
Aux filles mères, on dit donc: «Tu enfanteras malgré toi, et ton enfant sera marqué à vie par l’étiquette “né sous x” ou “ould zna (fils de débauche)”». Double peine donc.
Voilà pour le débat, qu’on va laisser là, c’est-à-dire ouvert, si vous voulez bien.
L’erreur, c’est de continuer de traiter cette question comme un référendum stratégique, en comptabilisant les voix contre et celles pour. Cela ne sert à rien. C’est même dangereux de soumettre une affaire strictement individuelle à l’approbation de la majorité. Erreur fatale. C’est là que commence l’exercice de la tutelle, que la collectivité réfléchit à la place de l’individu, que les autres décident à votre place.
Que ceux qui sont contre l’avortement lèvent le doigt! Une fois les nombreux doigts brandis vers le ciel, il faut dire à tous ces gens: «Ok, si vous êtes contre l’avortement, n’avortez pas! C’est votre choix. Mais laissez les autres faire leur propre choix, ce n’est pas votre affaire, ne vous en mêlez pas!».
Dans la réalité que nous vivons°, il y a votre femme, fille ou voisine qui a fait le choix d’avorter. Parfois ce n’est pas elle mais l’avortement qui la choisit, qui s’impose à elle. Tous les avortements ne se ressemblent pas: elle peut le faire pour raison de santé, grossesse non désirée, viol, refus d’abandonner le futur nouveau-né dans la rue ou de le donner à l’orphelinat.
Mais l’acte est le même: IVG, interruption volontaire de la grossesse. Par voix médicamenteuse ou acte médico-chirurgical.
Seulement voilà, la majorité, c’est-à-dire des gens que cette femme ne connaît pas, qui habitent d’autres villes et ont fait d’autres choix de vie, lui disent non, interdit. Sinon la honte et la prison.
Ainsi résumée, cette réalité que nous vivons est aberrante. L’avortement est aussi nécessaire à l’humanité que n’importe quelle intervention chirurgicale. La demande existera toujours, c’est humain, alors l’avortement sera toujours pratiqué. Que vous soyez d’accord ou pas, cela vous concerne, mais l’avortement est là et restera, c’est une réalité.
La majorité peut penser ce qu’elle veut, son non ne changera rien à cette réalité. La loi qui criminalise l’avortement ne règle pas le problème mais en crée de nouveaux, bien plus graves: clandestinité, mauvaises conditions d’asepsie, risques de séquelles, de décès accidentel, etc.
Il faut ouvrir les yeux. L’interdiction consacre l’inégalité entre les riches et les pauvres. Les nanties iront pratiquer une IVG sécurisée, au Maroc ou en Europe. Ni vu, ni connu. Les autres auront recours à des méthodes à haut risque et peuvent y laisser leur peau. Médecins et personnel soignant y laisseront aussi leur carrière et leur liberté.
C’est les pauvres et le corps médical et paramédical, en plus des intermédiaires, qui se seront portés au secours de la jeune femme, qui paieront les pots cassés.
°Une jeune adolescente est décédée en début de semaine dans une ville du sud marocain, après avoir atterri dans une clinique suite à un avortement «traditionnel» pratiquée à domicile. Un médecin et trois autres personnes ont été arrêtés.