Une «politique étrangère» mûrie et structurée permet à un Etat de définir une relation crédible au monde. Elle permet aussi aux autres Etats de traiter avec lui sur la base de principes identifiables dans le cadre d’une connaissance mutuelle laissant peu de place aux imprévus.
La communauté internationale et ses institutions veillent à ce que les relations internationales ne soient pas trop exposées aux incohérences et aux volte-face, porteuses de risques pour la paix. Le vivre-ensemble international est appelé à se traduire en termes de coopération multiforme, notamment économique et commerciale, dans l’intérêt raisonné de tous. La paix mondiale se nourrit de ces convictions.
Concernant le régime algérien (qui devient de plus en plus un cas inquiétant et singulier), l’actualité montre que sa relation au monde a atteint aujourd’hui un seuil critique. Il entretient par ses prises de position et ses ingérences des foyers de tension partout.
Un pouvoir militaire multicéphaleCe régime, plus isolé que jamais, englué dans des réflexes oscillant entre paranoïa et mégalomanie, s’est révélé incapable de porter un regard serein et apaisé sur le monde. La communauté internationale a du mal à déchiffrer le fonctionnement de ce pays, ainsi que sa «politique étrangère» ou sa «diplomatie».
Cette relation au monde se décline en plusieurs messages contradictoires. En fait, et nous le verrons, tout cela ne fait que refléter les expressions des rapports de force du moment et des conflits internes au pouvoir militaire qui est multicéphale en Algérie.
En raison d’une fracture identitaire, sa relation au monde est également construite sur des récits farfelus et des contrevérités historiques, en un brouillage sciemment entretenu d’une manière arrogante. Ce pouvoir est dans l’impossibilité de définir une politique étrangère, conforme aux capacités réelles et non fantasmées de l’Algérie.
La crise ou l’impossibilité d’une «politique étrangère algérienne» identifiable est tout simplement issue de la crise de l’Etat algérien lui-même. Ses contours et sa substance ne sont pas encore définis depuis 1962. Une mixture panachée militaro-civile qui brouille tous les repères et rend impossible toute bonne gouvernance en interne ou en externe.
Partout dans le monde, la décision ultime en politique étrangère revient au chef de l’Etat ou au détenteur du pouvoir exécutif. La centralité de la décision est nécessaire pour que soient préservés les impératifs de confidentialité, de sécurité, d’efficacité et de cohésion. Ces conditions n’existent pas en Algérie et c’est pour cela que dans le cadre de ce pouvoir dissolu et éclaté en de multiples pôles, le régime algérien se sent beaucoup plus à l’aise pour parler de «diplomatie algérienne» et non pas de «politique étrangère», qui a ses exigences.
Une diplomatie sans décideur centralOr il ne peut y avoir de diplomatie efficiente sans qu’elle ne soit guidée et portée par une politique étrangère bien déterminée. Les deux notions, même si elles sont complémentaires, ne sont pas synonymes: la diplomatie étant la mise en œuvre de la politique étrangère par les diplomates, sur le terrain.
Et jamais l’action des diplomates ou leurs manipulations langagières (que ce soit Mourad Medelci ou le triple revenant Ramtane Lamamra ou Abdelkader Messahel ou Sabri Bouakadoum, et autres farfelus comme l’adjectivore Amar Belani…) ne remplacera une doctrine extérieure murement réfléchie. Encore faut-il qu’un décideur central existe!
Lamamra a beau proclamer que «l’Algérie est un explorateur net de stabilité», que «l’Algérie est fière de partager son expérience inégalée en matière sécuritaire» ou bien que «l’Algérie soutient les peules opprimés (en fonction bien sûr de ses fantaisie sélectives!)», personne ne l’écoute. Ce n’est que de la propagande au quotidien.
Mais puisqu’aujourd’hui en Algérie, celui qui est supposé être le décideur central, le chef d’Etat est désigné par les militaires, le champ de la politique étrangère va évidemment lui échapper. La relation au monde va donc relever d’une cohorte de généraux, en majorité vieux et déconnectés des réalités de l’époque. Ils n’agissent qu’en fonction de leurs intérêts personnels et se fichent des intérêts supérieurs du peuple algérien.
Des généraux aux chapelles idéologiques diversifiéesCe qui est dramatique, est que ces généraux sont organisés en clans qui se surveillent et souvent se neutralisent. Des généraux divisés entre pro-français, pro-russes, pro-américains, pro-iraniens, pro-chinois, pro-baathistes arabisants, éradicateurs, faucons… Quant aux généraux modernistes partisans de la concertation, ils sont rares et inaudibles.
Ces chapelles idéologiques au sein de l’armée conduisent inéluctablement à une diplomatie erratique fonctionnant selon les instructions ou les fausses analyses du clan influent du moment. Pour un dossier, le clan dictera une ligne de conduite au ministre des affaires étrangères, sans passer le chef de l’Etat. Mais cette ligne pourra être annulée ou contredite le lendemain par un autre clan. Les médias qui appartiennent aux différents groupes de généraux se chargent de répercuter les positionnements et exercer les pressions.
Une prodigieuse haine envers le Maroc, comme marqueur principalLa notion de politique étrangère structurée et crédible ne peut exister dans ce sérail. Ce ne sont que des mouvements d’humeurs, des colères, des inquiétudes, des interprétations subjectives, ou des approches biaisées…
La seule conviction que tous les généraux partagent, est cette prodigieuse haine du Maroc qui est leur marqueur principal. Notre pays est instrumentalisé pour justifier toutes leurs divagations et surtout leur volonté de se maintenir au pouvoir à tout prix.
Ils ont tout fait pour mythifier leur pseudo-diplomatie et lui conférer l’illusion d’être corrélée à un régime pouvant agir sur les affaires du monde. Et ils y croient. Pour célébrer la journée nationale de la diplomatie algérienne, le 8 octobre dernier, ils ont choisi un thème d’une arrogance ridicule «60 ans de présence et d'influence à l'ONU».
Quand un Etat est véritablement influent, il reste discret et ne le crie pas sur les toits. Autrement, c’est de la vaine propagande. Influencer, manipuler, instrumentaliser, monnayer… Leurs modes opératoires préférés. Aucune conviction pour un monde meilleur, sur la base d’une coopération saine et d’une dynamique de co-développement.
Ni politique étrangère, ni diplomatie, que les symptômes d’une confusion d’un régime qui navigue à vue. Et quelle outrecuidance de vouloir organiser un sommet arabe sous le slogan d’«unifier les rangs» (Lem Cheml) alors que la junte fait tout pour diviser les pays arabes, tout en maintenant les frontières terrestres fermées avec son voisin de l’ouest depuis 1994, et tout en rompant, de façon unilatérale, ses relations diplomatiques avec Rabat. Les chefs d’Etat arabes, bien conscients du double langage du pouvoir algérien, ont bien raison de déserter ce rendez-vous qui cristallise l’absence d’une politique étrangère en Algérie.