Marocains, Marocaines, ubérisez-vous!

DR

ChroniqueTrouvez-vous normal que le secteur du transport touristique soit encore régi par un système de rente (les fameuses «grimates»), avec une poignée d’individus qui exploitent, à partir du sofa sur lequel ils sont confortablement assis, des centaines et des milliers de travailleurs?

Le 24/02/2018 à 18h00

Il faut faire attention à cette petite information: Uber quitte le Maroc. Ce n’est pas banal. L’affaire est plus importante et nous allons, ensemble, voir comment et pourquoi.

Uber, pour résumer, est une entreprise américaine qui propose de mettre en relation ses clients avec des conducteurs. Dans tous les pays où elle a mis les pieds, elle a court-circuité le réseau classique des petits taxis. C’est ce qui lui a valu des déboires (avec les législations en vigueur et surtout avec les transporteurs touristiques). Mais c’est ça aussi qui lui a valu du succès auprès de ses utilisateurs: à partir d’une application installée sur votre téléphone, vous pouvez commander un taxi, contrôler son itinéraire, le prix, etc. En gros, vous payez un peu plus que la course «normale» mais pour une qualité de service nettement plus importante.

Au Maroc, l’entreprise a pu s’assurer la fidélité de près de 20.000 personnes. Ce n’est pas beaucoup mais c’est assez pour se poser la bonne question. Pourquoi ces gens ont fui le petit taxi marocain pour aller chez Uber? La réponse, nous la connaissons tous: parce que le petit taxi marocain est une catastrophe. Dans certaines villes, comme Casablanca, le «service» offert par le petit taxi est une honte. Entre l’état du véhicule et celui du conducteur, c’est le zéro pointé.

La question n’est pas de savoir si on est pour ou contre Uber. C’est secondaire. Uber a du bon et du moins bon. Le problème du Maroc n’est pas Uber mais un système de transport dit touristique qui vit dans un état d’arriération insupportable. Le départ de l’entreprise américaine ne résoudra pas ce problème.

Derrière Uber, la question est de savoir si on vit, réellement, dans le 21ème siècle. En sommes-nous conscients? Comprenons-nous ce que cela implique et exige de nous («nous» citoyens et «nous» législateur marocain) ?

Le Maroc a souscrit assez tôt aux accords de libre échange et s’est inscrit, depuis, dans l’ère de la mondialisation. Mais cette mondialisation n’est pas que le fait des Etats et des firmes internationales, elle est aussi le fait des individus. Elle est, comme on le voit aujourd’hui, le résultat direct du progrès technologique. Internet a fait disparaitre les frontières et imposé, de facto, un contact direct, ce qu’on peut appeler une «ubérisation» entre les gens partout dans le monde.

Aujourd’hui, nous avons des Marocains qui font appel à des Américains pour leur assurer le transport d’un quartier à l’autre ou la livraison d’une pizza. Tout cela grâce à une petite application sur le smartphone.

C’est cela l’époque que nous vivons et il est impossible de revenir en arrière. Nous allons vers cela, et de plus en plus. Que faire? S’adapter, se mettre à niveau, rien d’autre.

Il y aura d’autres Uber et dans d’autres domaines, pas seulement celui du petit transport urbain. Nous avons vu, par exemple, comment des applications (Skype, Watsapp, etc.) redéfinissent à leur manière le marché des télécoms.

C’est le monde nouveau dans lequel on vit. On ne peut pas lui tourner le dos. Il faut s’y adapter même s’il nous fait peur.

Ce monde en mutation est créateur de richesses aussi. D’opportunités de travail. Et de services aux consommateurs, quoi qu’on dise.

Mais s’adapter, cela veut dire revoir en cause sa législation, ses codes, sa tarification, sa vieille mentalité, etc. C’est le seul moyen d’éviter une libéralisation sauvage qui ne rendra service à personne.

Pour revenir à Uber, et sans rentrer dans les détails, trouvez-vous normal que le secteur du transport touristique soit encore régi par un système de rente (les fameuses «grimates»), avec une poignée d’individus qui exploitent, à partir du sofa sur lequel ils sont confortablement assis, des centaines et des milliers de travailleurs ?

Si la mondialisation, de quelque manière que ce soit, secoue cette économie de rente et lui substitue une économie plus collaborative, plus libérale dans le noble sens dut terme, il faudrait être fou pour lui fermer la porte.

Par Karim Boukhari
Le 24/02/2018 à 18h00