Gavés de foot? Envie de passer à autre chose avant de repenser aux exploits des Lions de l’Atlas? C’est le moment ou jamais puisque la Semaine du film européen au Maroc, qui vient de démarrer (à Casablanca, Rabat, Marrakech et Tanger), nous propose quelques films de grande qualité. Alors attachez vos ceintures et allons-y!
Deux pièces retiennent particulièrement l’attention. La première s’appelle «Sans filtre», la dernière Palme d’or cannoise. Si vous aimez le grand spectacle et la leçon de morale gorgée de cynisme et de sarcasme, ce film est pour vous.
Nous sommes embarqués dans une croisière au luxe trop ostentatoire pour être vrai. A bord du yacht, des milliardaires pourris jusqu’à l’os, des influenceurs un peu débiles, et un personnel borderline. Tout cela sent la dérive et le naufrage à plein nez. Et dérive il y aura.
Sans vous «spoiler» la suite de l’intrigue, disons que le film, qui est assez long, se présente en deux grands morceaux. Le premier, sans doute le meilleur, est d’un calme plat qui annonce la tempête. Le deuxième, aux allures de farce, nous emmène dans une île déserte où les femmes et les hommes sont prêts à tout et à n’importe quoi pour survivre.
«Sans filtre» est un film paradoxal. A la fois agaçant et épatant, il plaira probablement à ceux qui ont aimé «Parasite», autre palmé de Cannes, peut-être moins à ceux qui ont applaudi «The Square», le précédent film (Palme d’or, là aussi) de Ruben Ostlund. A voir en tout cas, ne serait-ce que pour se rincer l’œil avec cette croisière qui convoque le souvenir de l’Odyssée d'Homère pour mieux trucider une certaine décadence du monde occidental.
En somme, à bas les riches!
Comme «Sans filtre», «RMN» du Roumain Cristian Mungiu adopte aussi la posture du film choral. En roumain, R.M.N signifie IRM (examen médical). Alors là, accrochez-vous à vos fauteuils. Ce film est une expédition extraordinaire, un film monumental qui nous rappelle que le cinéma peut en dire plus et mieux que toutes les analyses et tous les reportages sur la fracture sociale, le racisme, les trafics transfrontaliers, etc.
L’histoire est proprement inracontable. Nous sommes devant une fresque de l’Europe centrale, un puzzle composé de plusieurs intrigues qui finissent par se rejoindre. Un émigré roumain retourne au pays et retrouve son village, sa famille et ses petites habitudes. Mais tous ses repères volent en éclats. Le village n’arrête pas d’accueillir des vagues d’émigrés venus chercher du travail, et qui ne sont pas les bienvenus. Quant à la famille, elle est disloquée: un fils qui souffre de mutisme dont l’origine est inconnue, un père malade, une femme distante. Et une maîtresse belle et affranchie, qui semble attirer tous les ennuis.
Attention chef-d’œuvre!
Il est amusant de voir que ce film n’a rien gagné à Cannes, alors que «Sans filtre» a raflé la Palme d’or. Oui, le monde est injuste. Mais ce n’est pas si grave.
Mungiu est un cinéaste majeur de notre temps. Il a signé des bijoux comme «4 mois, 3 semaines, 2 jours» ou «Baccalauréat». Ceux qui ont vu ces films savent ce qu’il leur reste à faire: se jeter sur ce «RMN» sans hésiter. Ils ne seront pas déçus.
Quand le cinéma plane à ces hauteurs-là, quand il nous procure une palette extraordinaire de plaisirs et d’émotions, il est encore plus fort que le foot. Ou presque!