Les élections municipales qui se sont déroulées le lundi 1er novembre 2021 constituent une rupture dans la vie politique sud-africaine car elles marquent à la fois la fin de la domination absolue de l’ANC sur la scène politique du pays, et l’émergence de nouvelles forces ethniques ou catégorielles. Si l’ANC reste le premier parti du pays, son déclin s’accélère car, après avoir totalisé 69,4% et 54,5% des suffrages lors des scrutins municipaux de 2011 et de 2016, en 2021, le parti de Nelson Mandela n’a attiré à lui que 46,05% des électeurs. Il paie ainsi le prix des prévarications de plusieurs de ses dirigeants, de sa gestion désastreuse et des luttes internes entre ses factions affairistes, clientélistes et ethniques.
Les partis gagnantsCinq partis, dont deux sont nouveaux, ont réussi une percée remarquable. Trois d’entre eux sont des partis ethniques émanation des Zulu, des Coloured (métis) et des Afrikaners. Ils n’ont cependant pas d’assise nationale, leurs bons résultats étant liés à la géographie ethnique de leurs électeurs.
L’Inkatha Freedom Party (IFP)Le vieux parti Zulu a connu une spectaculaire résurrection. Dans son cœur traditionnel du Kwazulu-Natal, il devance l’ANC comme premier parti. L’explication de ce succès est ethnique: les Zulu qui avaient voté ANC quand ce parti était dirigé par le Zulu Jacob Zuma, sont naturellement retournés vers le parti zulu IFP une fois Jacob Zuma chassé du pouvoir.
Le Freedom/ Vreyheid Front (VF)Le VF, parti des Afrikaner triple son nombre de sièges.
Le Patriotic Alliance (PA)Nouveau venu sur la scène politique, le PA se revendique ouvertement en tant que parti ethnique des Coloured, ou métis du Cap, lesquels ne sont pas des métis de Blancs et de Noirs, mais de Blancs et de KhoiSan. Leur langue est l’afrikaans, la langue des Afrikaner.
L’Economic Freedom Fighters (EFF)L’EFF de Julius Malema est certes en progression avec un gain de 2,3% par rapport à 2016, mais il ne réalise pas son ambition de pouvoir peser sur l’ANC afin d’obtenir l’accès au pouvoir dont il rêve. Julius Malema est un démagogue qui en impose par sa rhétorique violemment anti-Blancs à la faction la plus racialiste de l’ANC.
Action SA (Action South Africa)Action SA qui se présentait pour la première fois aux élections, réalise un excellent score là où il avait des candidats. Son président fondateur est Hermann Mashaba, un homme d’affaires qui a fait sa fortune en créant «Black like me», une chaîne de salons de coiffure et de produits pour les Africains.
Il avait rallié le DA (Democratic Alliance), et était devenu maire de Johannesburg avant de démissionner du parti.
Esprit ouvert, non idéologue, il s’entend bien avec les Blancs et il rejette toute alliance avec l’ANC en raison de la corruption systémique de ses membres et de leur incompétence gestionnaire.
Les partis perdantsL’ANC, le parti de Nelson Mandela, au pouvoir depuis 1994, et le DA, son opposition institutionnelle, parti héritier des démocrates anglophones blancs qui, avant 1994 combattaient le Parti national, sont les deux grands perdants de ce scrutin.
Le Democratic Alliance (DA)Avec un recul de 5% par rapport à 2016, le DA reste la 2ème force politique du pays. Il garde la majorité à Capetown, mais la perd dans plusieurs districts du Western Cape où il devra former une coalition avec le PA. Il recule à Johannesburg au profit d’Action SA et il paye l’africanisation du parti qui en a éloigné les électeurs afrikaner qui se sont tournés vers le Freedom Front/ VF FF et une partie de son électorat Coloured (métis) qui s’est tourné vers le Patriotic Alliance de Gayton McKenzie.
L’African National Congress (ANC)Le parti historique de la lutte contre le pouvoir Blanc continue son lent –et inexorable?– déclin. Sans majorité dans 5 des 8 plus grandes municipalités du pays, le parti est contraint de négocier des accords de coalition, soit avec le DA et Action SA, soit avec l’EFF de Julius Malema. Les élections ont allumé des signaux inquiétants pour l’avenir d’un parti hier hégémonique.
De plus, en interne, Cyril Ramaphosa doit affronter la pression de la faction pro-Zuma de l’ANC qui utilise les mauvais résultats électoraux pour demander sa tête. Jacob Zuma a même lancé un appel à la mutinerie des cadres du Parti. Soutenu par la faction Radical Economic Transformation proche de l’EFF de Julius Malema, il vise à renverser le président Ramaphosa lors de l’élection à la présidence du parti qui se tiendra en 2022. La position du président est donc de plus en plus délicate.
Le sort de l’ANC en tant que parti dominant se décidera lors de la prochaine élection nationale en 2024.