Comprendre la question du Sahel

L’Afrique réelle

ChroniqueLe Sahel est le domaine du temps long dans lequel l’affirmation d’une constante islamique radicale, alibi de l’expansionnisme de certains peuples, est régulièrement le paravent cachant des intérêts économiques ou politiques.

Le 22/02/2022 à 11h00

Le Sahel, «rivage» en arabe, est un espace de contact et de transition entre l'Afrique «blanche» et l'Afrique «noire». Composé de zones agricoles au sud et pastorales au nord, il met en relation la civilisation méridionale des greniers ou Bilad el-Sudan (pays des Noirs), et celle du nomadisme septentrional, le Bilad el-Beidan (le pays des Blancs). Tout le long de ce rift racial, les populations blanches au nord et noires au sud sont historiquement en rivalité pour l’eau et les pâturages.

Milieu naturellement ouvert, le Sahel est aujourd’hui cloisonné par des frontières artificielles. Ces «pièges à peuples» longs de près de 17.000 kilomètres et au tracé artificiel ne tiennent pas compte de l’ancienne réalité régionale qui est celle des zones de transhumance.

D’ouest en est, le Sahel englobe tout ou partie de 9 pays, la Mauritanie, le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le nord du Nigeria, le Tchad, le Soudan du Nord et la partie septentrionale de l’Erythrée. Certains pays, comme le Sénégal, sont en majorité sahéliens, alors que d’autres, comme le Nigeria, le Soudan du Nord ou l’Erythrée, ne le sont qu’en partie.

L’immensité longitudinale sahélienne est faite de deux grands ensembles géographico-historico-politiques séparés par le lac Tchad:

1-à l’ouest du lac, à partir du Xe siècle, et durant plus d’un demi-millénaire, se succédèrent les grands empires du Ghana, du Mali et du Songhay. Tous trois contrôlaient les voies méridionales d’un commerce transsaharien articulé et même ancré sur des villes-marchés mettant en contact le monde soudanien et le monde méditerranéen. Parmi ces dernières, dominait Sijilmassa au Maroc.

Au XVIe siècle, le Sahel occidental entra dans une lente période de dormition, conséquence de trois phénomènes:-la découverte des mines d’or américaines relégua au second rang celles de l’ouest africain.-L’installation portugaise sur le littoral provoqua le détournement du commerce transsaharien vers les comptoirs maritimes lusitaniens.-Après la conquête de l’empire songhay par le Maroc en 1591, les populations sédentaires vivant dans la boucle du Niger furent prises dans la tenaille prédatrice des Touareg au nord et des Peul au sud.

2- Dans l’est du Sahel, entre le lac Tchad et la mer Rouge, la situation fut différente car le XVIe siècle n’y vit pas la fin des réalités étatiques. Plusieurs grands royaumes s’y succédèrent en effet, dont le Kanem, le Bornou, le Darfour et, plus près de nous, de l’Etat mahdiste au XIXe siècle. Directement reliés à l’Egypte ottomane, les trois premiers furent ses pourvoyeurs en esclaves et en ivoire.

Le Sahel est le domaine du temps long dans lequel l’affirmation d’une constante islamique radicale, alibi de l’expansionnisme de certains peuples, est régulièrement le paravent cachant des intérêts économiques ou politiques.

Au XIe siècle, derrière ses grandes proclamations de foi purificatrice, le jihad des Berbères Almoravides visait ainsi l’or du Ghana au sud et les riches cités marchandes marocaines au nord. Au XVIIIe siècle, les jihad des Peul furent d’abord des entreprises de destruction des chefferies sédentaires auxquelles ces pasteurs étaient alors soumis. Quant au mahdisme soudanais, au XIXe siècle, son appel à la guerre sainte, masquait une volonté de contrer l’impérialisme égyptien qui faisait courir un danger mortel au commerce esclavagiste régional.

A la fin du XIXe siècle, dans tout le Sahel occidental, la colonisation française eut deux conséquences contradictoires. Elle libéra les sudistes de la prédation nordiste, mais, en même temps, elle rassembla les uns et les autres dans les limites administratives de l'AOF (Afrique occidentale française). Avec les indépendances, les délimitations administratives internes à ce vaste ensemble devinrent des frontières d'Etats à l'intérieur desquelles, comme ils étaient les plus nombreux, les sudistes l’emportèrent politiquement sur les nordistes selon les lois de l’ethno-mathématique électorale.

La conséquence de cette situation fut que, dans tout le Sahel, et notamment au Mali, au Niger et au Tchad, les Touareg et les Toubou qui refusaient d’être soumis à leurs anciens tributaires sudistes se soulevèrent. Dans le sud du Soudan, ce furent les anciennes victimes sudistes qui refusèrent la soumission à leurs anciens bourreaux nordistes.

Dans tout le Sahel occidental, prospérèrent ensuite les trafiquants de toutes sortes.

Puis, à partir des années 2000, les islamo-jihadistes s’immiscèrent avec opportunisme dans le jeu politique local, y provoquant la surinfection de la plaie ethno-raciale ouverte depuis la nuit des temps. Aujourd’hui, cette dernière a d'autant moins de chance d'être refermée que la région est devenue une terre à prendre en raison de ses matières premières (uranium, fer, pétrole etc.) et de son rôle de plaque tournante de nombreux trafics. Avec, en arrière-plan, une tension entre agriculteurs et pasteurs aggravée par la suicidaire explosion démographique qui a provoqué un phénomène d’extension des terres arables aux dépens des pâturages et une surexploitation des puits. 

Par Bernard Lugan
Le 22/02/2022 à 11h00