La géopolitique du Nil est hautement crisogène car l’Ethiopie fonde ses projets de développement sur plusieurs barrages dont la mise en service aura pour conséquence de faire perdre au Nil une partie de son débit actuel. En face, l’Egypte qui ne vit que par le Nil, ne peut accepter que des barrages construits en amont fassent baisser le cours de son fleuve nourricier. Avec en plus une autre conséquence désastreuse qui serait l’envahissement du delta du Nil, la seule grande zone agricole égyptienne, par les eaux salées de la Méditerranée.
Le 14 mai 2010, l’Ethiopie, l’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie, rejoints quelques jours plus tard par le Kenya, signèrent le CFA (Cooperative Frame Agreement) qui rendaient caducs les accords sur les eaux du Nil conclus, l’un en 1929, à l’époque coloniale, l’autre en 1959, et qui attribuaient plus des ¾ des eaux du Nil à l’Egypte et au Soudan. Ces pays créèrent ensuite la Commission du bassin du Nil qui fut basée à Addis-Abeba, ce qui illustrait la perte par le Caire de la maîtrise de la situation, le Nil n’étant désormais plus la propriété de l’Egypte et du Soudan…
La crise est profonde car les intérêts des sept pays en amont de l’Egypte et du Soudan sont clairement à l’opposé des intérêts de ces derniers. Le Soudan s’est également lancé dans une politique de création de grands barrages financés par des fonds chinois et saoudiens, projets que l’Egypte ne conteste pas car elle a besoin de l’appui de Khartoum face à l’Ethiopie.
Pour l’Egypte, il est non seulement vital que le débit du Nil soit maintenu, mais, de plus, il lui faut encore davantage d’eau afin de pouvoir mettre en valeur de nouveaux espaces agricoles situés en zone désertique. Le pays est en effet dans une impasse démographique avec un indice de fécondité de 3,1 enfants par femme et un taux de croissance naturelle de 18,5 pour 1000. La population égyptienne est ainsi passée de 23 millions d’habitants en 1955, à quasiment 110 millions aujourd’hui. Une masse humaine concentrée sur quelques dizaines de milliers de km2 le long du Nil où l’urbanisation empiète gravement sur les terres arables.
Le 9 juin 2008, conscient de la situation, le président Moubarak avait déclaré lors d’un discours prononcé à l’occasion du deuxième congrès national sur la population que la pression démographique était «la mère de tous les maux», la huitième plaie d’Egypte en quelque sorte. Le président était même allé jusqu’à reprocher à ses compatriotes de «faire concurrence aux lapins».
De son côté, l’Ethiopie qui est la source de 80% des eaux du Nil avec le Nil Bleu, ne consommait jusque-là que 0,3% du potentiel du fleuve. Or, près de 50% de sa population est sous-alimentée et moins de 1% de ses terres est irrigué. De plus, l’Ethiopie qui avait 65 millions d’habitants en 2001, devrait en avoir 120 millions en 2025 et 170 millions en 2050…
Les autorités d’Addis-Abeba veulent donc faire du Nil bleu une artère de production électrique afin de pouvoir exporter du courant dans la péninsule arabique. C’est pourquoi elles ont entrepris de mettre en eau le barrage «Renaissance», le plus important du continent qui aura une capacité de production de 5240 mégawatts. Or, les projets éthiopiens entraîneront une baisse du débit du Nil en Egypte dans une proportion difficile à chiffrer.
Une perspective inacceptable pour Le Caire.
En 1970, quelques semaines avant sa mort, le colonel Nasser avait déclaré à ce sujet que «l’Egypte ne rentrera plus jamais en guerre dans la région, si ce n’est pour une question d’eau». En 1978, ces menaces furent réitérées en termes très clairs par le président Anouar el Sadate :«toute action qui mettrait en danger les eaux du Nil Bleu devra faire face à une ferme réaction de la part de l’Egypte, même si cette réaction devait conduire à la guerre (…) ; l’Egypte est prête à rentrer en guerre si l’Ethiopie entreprend de construire un barrage sur le lac Tana».
Aujourd’hui, la position de l’Ethiopie étant marquée par une froide intransigeance, l’Egypte se trouve acculée. Sommes-nous alors à la veille d’une guerre?
Avec son aviation, notamment ses Rafale, l’Egypte est en mesure de détruire le barrage éthiopien actuellement en phase de mise en eau. Cependant, si une telle intervention était décidée, elle devrait être rapide car toute destruction du barrage «Renaissance» une fois rempli provoquerait un terrible tsunami en aval…
Militairement les représailles éthiopiennes seraient très difficiles à mener compte tenu de la supériorité aérienne égyptienne… Quant aux conséquences diplomatiques et politiques, là serait la grande inconnue.