Quel est le vrai visage du jihadisme sahélien? Plusieurs questions sont contenues dans cette interrogation:
-N’avons-nous pas trop tendance à qualifier de jihadiste tout bandit armé ou même tout porteur d’arme?
-La mise en avant du jihadisme n’est-elle pas l’alibi commode d’une incompréhension de la situation régionale?
-Ceux que nous qualifions de jihadistes sont-ils réellement mus par la volonté de combattre l’islam local «déviant» car ouvert sur «l’innovation blâmable (bid’a)» qui trahirait le Coran?
-Sommes-nous en présence de trafiquants revendiquant le jihadisme pour brouiller les pistes, et parce qu’il est plus glorieux de prétendre combattre pour la plus grande gloire du Prophète que pour des cartouches de cigarettes ou des cargaisons de cocaïne?
-Sommes-nous face à des revendications ethniques, sociales et politiques habillées du voile religieux?
Selon Rikke Haugegaard (2018)1 nous serions en présence de tout cela à la fois avec des degrés différents d’importance de chaque point selon les moments. C’est ainsi qu’il écrit que «les actions des groupes djihadistes sont guidées par une combinaison de facteurs, allant des luttes de pouvoir au niveau local aux conflits claniques internes, en passant par la poursuite d’intérêts économiques associés au commerce de contrebande».
Dans son rapport du 12 juin 20182, Crisis Group a, de son côté, parfaitement synthétisé la question: «(…) la frontière entre le combattant jihadiste, le bandit armé et celui qui prend les armes pour défendre sa communauté est floue. Faire l’économie de cette distinction revient à ranger dans la catégorie “jihadiste“ un vivier d’hommes en armes qui gagnerait au contraire à être traité différemment» (Crisis, 2018 :17).
Aujourd’hui, le moderne commerce transsaharien qui repose sur la traite des migrants et sur la drogue, nécessite de solides infrastructures armées afin de protéger les convois contre les groupes rivaux cherchant à les intercepter. Voilà pourquoi nous assistons à: «(…) la constitution progressive d’une catégorie d’individus qui vivent du métier des armes à la frontière entre le Mali et le Niger, dont beaucoup n’ont que peu à voir avec le terrorisme». (Crisis, 2018 :23)
Cette militarisation est rendue obligatoire par la forte valeur des marchandises transportées, les experts estimant à 1/3 le volume de la cocaïne mondiale circulant le long des pistes sahariennes ancestrales.
Or, ce trafic est devenu le poumon économique des populations de ces milieux défavorisés, subissant les effets d’une désertification accélérée par la démographie, d’où la jonction entre trafic et religion, le premier se faisant dans la bulle sécurisée par l’islamisme. C’est ainsi que dans le nord du Mali «la mise en œuvre de la charia consiste essentiellement à créer un espace pour l’industrie de la contrebande». (Haugegaard, 2018 :67).
____________1Haugegaard, R., (2018) La charia «business du désert». Comprendre les liens entre les réseaux criminels et le djihadisme dans le nord du Mali, en ligne.
2Crisis Group., (2018) Frontière Niger-Mali: mettre l’outil militaire au service d’une approche politique. Rapport Afrique n°261,12 juin 2018.