Un temps, les dirigeants algériens nourrirent l’espoir que le gaz viendrait combler l’effondrement de la production pétrolière dont j’ai parlé ici, la semaine dernière. Cette illusion fut hélas dissipée le 13 décembre 2018 par M. Mustapha Guitouni, ministre algérien de l’Energie, quand il déclara devant les députés de l’APN: «si nous ne trouvons pas rapidement d’autres solutions pour couvrir la demande nationale en gaz, en hausse constante, nous ne serons plus en mesure, dans deux ou trois ans, d’exporter».
Ce pessimisme du ministre contredisait les chiffres officiels qui annonçaient des réserves «prouvées» de 4.600 milliards de mètres cubes (mds/m3). Cependant, là encore, comme pour ce qui est du pétrole, il importe d'examiner ces chiffres plus en détail. En effet, comme la production moyenne de gaz est d’environ 130 mds de m3, dont 30 à 40% réinjectés dans les puits pour qu’ils demeurent actifs, l’Algérie ne dispose en réalité que d’environ 86 milliards de m3 de production commercialisable, dont environ 35 à 40 mds de m3 consommés localement pour la production d’électricité.
Conclusion, selon M. Abdelmadjid Attar, éphémère ministre de l’Energie (à peine 8 mois): en 2025, les exportations devraient atteindre environ 25 mds de m3, soit moitié moins qu’en 2018. Des exportations qui ne cessent de baisser puisqu’elles sont passées de 64 mds de m3 en 2005, à 51 mds en en 2018, à 48 mds en 2019 puis à 41 mds en 2020.
De plus, et cela illustre la gravité de la situation, ces projections sont établies à partir des chiffres officiels qui sont contestés par certains experts indépendants pour lesquels les réserves disponibles ne seraient pas de 4.600 milliards de m3, mais de 2200 à 2500 milliards de m3 seulement.
Les dirigeants algériens ne pourront pas dire qu’ils n’avaient pas été prévenus car, comme pour le pétrole, la sonnette d’alarme avait été tirée depuis plusieurs années. Ainsi, le 28 janvier 2013, interrogé par Maghreb Emergent, M. Tewfik Hasni, ancien vice-président de Sonatrach (Société nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures) et ancien PDG de NEAL, la filiale commune de Sonelgaz (Société nationale de l'électricité et du gaz) et Sonatrach, avait déclaré: «tous les experts sérieux savent que nos réserves, y compris le gaz de schiste, garantissent moins de vingt ans de consommation au rythme actuel de leur exploitation (...) Il faut intégrer tous les paramètres. Si on tient compte par exemple de l'évolution de la consommation domestique au rythme actuel, pour ne prendre que ce seul exemple, Sonelgaz aura besoin de 85 milliards de mètres cubes de gaz en 2030 pour la seule génération électrique. Il ne restera plus rien pour l'exportation».
Comme, parallèlement à la baisse de la production, la consommation interne augmente, l'Algérie va donc avoir de moins en moins de quantités à mettre sur le marché et ses recettes extérieures vont donc baisser d’autant. De plus, Gazprom est en mesure de fournir à l'Europe le gaz russe entre 10 à 15% moins cher que celui produit par l'Algérie et l’Egypte entre en force sur le marché.
Dans ces conditions, l’Algérie pourra-t-elle conserver son rôle de 3ème fournisseur gazier de l’Europe? D’autant plus que la concurrence est déjà telle qu’elle a de grandes difficultés pour renégocier ses contrats à long terme, les grands acheteurs ayant même réduit leurs volumes d’achat de gaz algérien. Ainsi, l’Italien ENI qui achetait pour près de 20 mds de m3 par an a diminué ses achats à 9 mds de m3, cependant que l’espagnol ENEL les réduisaient de moitié. Et enfin, depuis 2014, devenu autonome grâce à ses gisements non conventionnels, le client américain, qui représentait entre 30 et 35% des recettes de la Sonatrach a disparu...
Le gaz de schiste pourrait-il alors être le recours? L'Algérie dispose d'énormes réserves en ce domaine, mais la rentabilité de la production est incertaine. Le gaz de schiste américain est en effet à un cours tellement bas que l'Algérie aurait du mal à tirer son épingle du jeu avec un coût de production supérieur à 15 dollars le MBTu (Million British Thermal unit) alors que le seuil de rentabilité est évalué à 10-12 dollars le MBTu. De plus, pour produire un milliard de mètres cubes gazeux, il faut un million de mètres cubes d'eau douce. Or l'Algérie manque cruellement d'eau...