Durant des décennies, l’Algérie fut en quelque sorte la possession de la caste militaire, le pays étant dirigé par une petite centaine de généraux constituant le niveau supérieur de la nomenklatura nationale. L’armée contrôlait tout le pays à travers une clientèle d’obligés ou d’associés civils. L’élection d’Abdelaziz Bouteflika en 1999 marqua le recul provisoire de l’influence des militaires.
Longtemps véritable «Etat dans l’Etat», l’armée algérienne est le produit d’une histoire complexe. Elle est l’héritière de la fraction de l’ALN (Armée de libération nationale), qui constituait l’«armée des frontières». Stationnée en Tunisie et au Maroc durant la guerre d’Algérie, elle ne combattit pas véritablement les Français, et cela, à la différence de l’ALN de l’intérieur qui opérait dans les djebels et qui fut quasiment anéantie à la suite du Plan Challe et des opérations «Jumelles» et «Pierres précieuses».
Or, ce fut cette ALN de l’extérieur qui profita de l’indépendance. Instrument docile entre les mains de son chef, le colonel Houari Boumédiène, elle prit officiellement le pouvoir en 1965 en renversant Ahmed Ben Bella, puis elle l’exerça ensuite directement ou indirectement jusqu’en 1999, avec la première élection d’Abdelaziz Bouteflika.
Monolithique lorsqu’il s’agissait de défendre ses intérêts de caste, l’armée algérienne fut longtemps divisée en deux grands courants:- Le premier était composé des officiers de l’armée française qui avaient déserté pour rejoindre le FLN quand il fut évident que la France allait reconnaître l’indépendance de l’Algérie. Ces hommes qui n’avaient aucune légitimité «patriotique» aux yeux des combattants de l’intérieur furent «récupérés» par le colonel Boumédiène auquel ils apportèrent leur savoir-faire en échange de sa protection et de sa caution. Ils furent ses plus fidèles soutiens, lui permettant d’asseoir durablement son pouvoir en triomphant des cadres survivants issus des maquis. L’un des représentants les plus influents de ce courant est le général à la retraite Khaled Nezzar.
- Le second grand courant était incarné par les officiers formés dans les pays arabes et qui, à l’image de ce qui se faisait alors en Egypte ou en Syrie, étaient partisans d’une ligne dure à l’égard de l’Occident. Arabophones et marqués par le nationalisme arabe, ils incarnaient un courant révolutionnaire.
Aujourd’hui, ces deux ensembles ont «vieilli», mais leurs héritiers forment toujours des clans régionaux ou politiques bien organisés au sein d’une armée algérienne fractionnée en groupes d’intérêt économique divergents. Tous se partagent les fruits du pouvoir et des «affaires», en prenant bien soin de ne pas léser les groupes rivaux. Tandis que les Algériens souffrent socialement, les militaires et leurs familles se ravitaillent dans des magasins qui leur sont réservés, et où il leur est possible de se procurer à des prix préférentiels des marchandises introuvables ailleurs dans le pays, vivent dans des résidences sécurisées et passent leurs vacances dans des clubs qui sont la propriété de l’armée.
Les présidents algériens successifs n’ont le plus souvent été que les fondés de pouvoir des clans militaires et leur rôle se borna dans les faits à l’arbitrage consensuel de leurs prérogatives.