Face à la permanence des guerres africaines, les observateurs privilégient toujours les causes économiques ou sociales. L’erreur d’analyse est totale car ces conflits n’ont pas une origine économique, même si cette explication permet de donner des clés immédiatement compréhensibles par le «grand public». En effet, les éléments déclencheurs de ces affrontements ne sont ni la misère, ni le surpeuplement, ni même la compétition pour les matières premières. Les deux premiers éléments peuvent, certes ponctuellement les favoriser ou les prolonger, tandis que le troisième peut permettre leur prolongement, mais ils n’en sont pas la cause.
Les guerres de Sierra Leone, du Liberia ou de l’Ituri n’eurent ainsi pas pour origine le contrôle des diamants, du bois ou du coltan, car ce furent des conflits ethniques qui prirent de l’ampleur et qui, ensuite, s’auto-financèrent avec les diamants, le bois et le coltan. Quant aux guerres du Tchad, elles ont éclaté dès les années 1960, donc quatre décennies avant la découverte et la mise en exploitation du pétrole.
Qu’il s’agisse de la RDC, du Rwanda, du Liberia, du Nigeria, de la Côte d’ivoire ou encore du Soudan, ces conflits ont un point commun: ils sont au départ internes à des Etats et ont tous éclaté en raison de l’inadéquation entre frontières issues de la colonisation ou de la décolonisation, et réalités ethno linguistiques. Ensuite, et seulement dans un second temps, des facteurs économiques ou religieux ont pu les amplifier, les entretenir ou les compliquer. Mais il s’agit d’effets secondaires et non de déclencheurs. De plus, par le jeu des apparentements ethniques, certains de ces conflits se répercutent d’un pays à l’autre.
Le problème politique africain expliquant la conflictualité continentale est triple:
1- La transposition des institutions politiques occidentales a provoqué le chaos. La raison en est qu’en Afrique où l’autorité ne se partage pas, leur greffe s’est faite sans qu’auparavant il ait été réfléchi à la création de contre-pouvoirs, au mode de représentation et d’association au gouvernement des peuples minoritaires, condamnés par la mathématique électorale, à être pour l’éternité écartés du pouvoir.
2- Les Etats ne sont que des coquilles juridiques vides ne coïncidant pas avec les patries charnelles qui fondent les véritables enracinements humains.
3- L’idée de Nation n’est pas la même en Europe et en Afrique sud-saharienne puisque, dans un cas, l’ordre social repose sur des individus et dans l’autre sur des groupes. Or, le principe du «One Man, one vote», interdit la prise en compte de la vraie réalité politique africaine qui est la communauté.
La démocratie majoritaire est donc régulièrement la principale cause des conflits africains car elle permet aux peuples démographiquement dominants d’échapper à l'alternance politique. La contradiction est donc totale car la démocratie sert de paravent légal à des dictatures ethniques profitant aux peuples dont les femmes ont été les plus fécondes.
Dans ces conditions, au sud du Sahara, comment éviter que les plus nombreux soient automatiquement détenteurs d’un pouvoir issu de l’addition des suffrages? Tant qu’une réponse n’aura pas été donnée à cette interrogation, les Etats africains seront perçus comme des corps étrangers prédateurs par une large partie de leurs propres «citoyens», d’où la succession des conflits internes.
La solution passe par un système dans lequel la représentation irait aux groupes et non plus aux individus. Contre le droit postulé des individus, le droit des groupes est le cœur nucléaire des solutions aux problèmes africains. C'est le modèle de la démocratie consociationnaliste théorisée par A. Lijphart1.
Les principes d'organisation du modèle consociationnaliste appliqué à l’Afrique sud-saharienne seraient: 1-la reconnaissance constitutionnelle et institutionnelle des différentes ethnies. 2-la systématisation du système proportionnel à tous les niveaux de représentation politique. 3-la possibilité d'un droit de veto pour les ethnies quand elles estiment leurs intérêts vitaux en jeu. 4-le droit pour chaque ethnie de gérer certaines matières qui concernent son identité et son autonomie sociale et politique, telles les questions culturelles et linguistiques. 5-l'organisation du partage du pouvoir par l'entente des élites dirigeantes de chaque ethnie se traduisant par des gouvernements de coalition.
Il n’est pas interdit de rêver…
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1Lijphart, A., "Democracy in plural societies : a comparative exploration". Yale University Press, 1977.
"Théorie et pratique de la loi de la majorité : la ténacité d'un paragdime imparfait" in : Revue internationale de Sciences Sociales, n° 129, août 1991.