L’Europe (UE) importe environ 40% de sa consommation de gaz depuis la Russie, 20% depuis la Norvège et environ 10% depuis l’Algérie. Profitant du contexte géopolitique actuel, l’Algérie prétend pouvoir compenser une partie des volumes russes en augmentant ses propres exportations en direction de l’UE via le gazoduc Transmed qui la relie à l’Italie. Une question se pose cependant: comment pourrait-elle le faire alors que ses réserves s’épuisent et que sa production de gaz est aux trois-quarts consommée localement?
En 2021, l’Algérie a produit 130 milliards de mètre cubes (mds de m3) de gaz sur une production mondiale de 3890 mds de m3, ce qui en fait le 10e producteur mondial, loin derrière les Etats-Unis, la Russie, l’Iran, et même la Chine. Or, sur les 130 mds de m3 produits par l’Algérie, il convient de retirer:
– 48 mds de m3 pour la production annuelle de gaz de ville algérien.
– 20 mds de m3 pour la production annuelle d’électricité, l’Algérie produisant 99% de son électricité à partir du gaz naturel.
– 20 mds de m3 pour la réinjection dans les puits de pétrole ou les poches gazières.
– 5 mds de m3 pour le torchage, c’est-à-dire la combustion des gaz non utilisés.
Soit un total de 93 mds m3 sur une production totale de 130 mds m3. Conclusion, il reste donc à l’Algérie environ 40 mds de m3 de gaz pour l’exportation. Dans ces conditions, à moins d’opérer de difficiles restrictions sur la consommation intérieure, on voit mal comment l’Algérie pourrait sérieusement augmenter ses livraisons à l’UE, sinon à la marge, et donc prétendre compenser une part significative des livraisons russes…
D’autant plus, et il importe de ne pas perdre la mémoire, que le 28 janvier 2013, interrogé par Maghreb Emergent, M. Tewfik Hasni, ancien vice-président de Sonatrach (Société nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures) et ancien PDG de NEAL, la filiale commune de Sonelgaz (Société nationale de l'électricité et du gaz) et Sonatrach, avait déclaré:
«Tous les experts sérieux savent que nos réserves garantissent moins de vingt ans de consommation au rythme actuel de leur exploitation (...) Si on tient compte par exemple de l'évolution de la consommation domestique au rythme actuel, pour ne prendre que ce seul exemple, Sonelgaz aura besoin de 85 milliards de mètres cubes de gaz en 2030 (pour rappel 20 mds de m3 en 2022) pour la seule génération électrique. Il ne restera plus rien pour l'exportation».
M. Tewfik Hasni se basait alors sur l’estimation de la consommation interne qui augmente de 7% par an. Parallèlement à la stagnation de la production, l'Algérie va donc avoir moins de quantités à mettre sur le marché.
Le 1er juin 2014, par une déclaration fracassante faite devant l'APN (Assemblée populaire nationale), le Premier ministre algérien de l’époque, M. Abdelmalek Sellal, avait tenté de faire prendre conscience aux députés du drame qui s’annonce:
«D'ici 2030, l'Algérie ne sera plus en mesure d'exporter les hydrocarbures, sinon en petites quantités seulement (...). D'ici 2030, nos réserves couvriront nos besoins internes seulement».
De plus, ces pessimistes projections officielles étaient alors établies à partir de chiffres contestés par certains experts indépendants pour lesquels les réserves disponibles étaient en réalité moins importantes que les volumes annoncés. Sans nouvelles découvertes, la production gazière algérienne va donc baisser.
D’autant plus que le gaz de schiste ne peut être la solution. Certes l'Algérie dispose d'énormes réserves en ce domaine, mais pour produire un milliard de mètres cubes gazeux (MBTu ou Million British Thermal Unit), il faut un million de mètres cubes d'eau douce. Or, comme tout le Maghreb, le pays manque cruellement d'eau... et va en manquer de plus en plus en raison de l’augmentation de sa population et de l’évolution climatique.
Pour l'Algérie, à défaut de pouvoir relancer sa production gazière, l'urgence est donc de la faire durer le plus longtemps possible, donc d'en rationaliser l'usage. Or, afin de préserver la paix sociale, le gouvernement maintient des tarifs artificiellement bas qui conduisent à consacrer une proportion considérable et croissante des ressources en gaz à la consommation des ménages et non à l'exportation génératrice de devises.
Dans ces conditions, en dehors du «coup de bluff» destiné à attirer les investisseurs pour tenter de faire financer par l’étranger de nouvelles prospections qui, si elles étaient fructueuses, n’entreraient pas en production avant au moins dix ans, la proposition algérienne de fourniture supplémentaire de gaz à l’UE, destinée à contrebalancer la perte des approvisionnements russes, n’est pas sérieuse.