A la fin du XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe, le paysage politique de l’ouest africain sahélien fut largement remodelé par des éleveurs Peul (ou Fulbe) islamisés qui constituèrent de vastes Etats à la suite d’importants mouvements inspirés ou justifiés par le jihad.
L’émergence politique des Peul s’était faite lentement. Depuis des siècles, ces pasteurs dont les ancêtres avaient vécu dans le Sahara suivaient le recul des pâturages provoqué par la sécheresse. Leur lent mouvement de repli vers le sud les conduisit d’abord au Tekrour et au Fouta Toro, sur les deux rives du Sénégal, puis au Macina (Mali) et au Fouta Djalon (Guinée). De là, poussant leur bétail devant eux, ils essaimèrent dans tout l’ouest sahélien, en direction de l’est, leurs éléments les plus avancés atteignant l’actuelle Centrafrique.
Durant cette première phase, à chaque étape de leur progression, ils devaient se faire accepter par les sédentaires auxquels ils commençaient par se soumettre. Puis, peu à peu, certains groupes, s’imposèrent à ceux qui les avaient accueillis et ils fondèrent des Etats. En Guinée, le phénomène est bien connu. C’est ainsi qu’au XVIe siècle, des Peul venus du Fouta Toro commencèrent à s’installer dans le massif du Fouta Djalon, une région de pâturages propice à leur économie pastorale. Puis, peu à peu, les indigènes, à savoir les Baga, les Kissi, les Landouma, les Limba ou encore les Temné furent balayés ou soumis.
Dans la région péri-tchadique, et notamment en pays haoussa, les traditions mentionnent l’arrivée des premiers groupes de Peul à partir du XVe siècle. Le pays haoussa fut d’ailleurs, semble-t-il, un centre secondaire d’expansion puisque, se détachant des groupes qui s’y étaient installés, des familles ou des clans partirent ensuite pour l’Adamaoua dans le nord du Cameroun actuel, cependant que d’autres se mettaient en marche vers le Moyen-Chari où leurs descendants formèrent le royaume du Baguirmi.
A partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, et tout au long du XIXe, le Sahel connut trois jihad Peul. Celui d’Ousmane (Othman) dan Fodio se fit en pays Haoussa en 1804, celui de Seku Ahmadou au Macina en 1818, et celui d’El-Hadj Omar en pays bambara à partir de 1852. De ces jihad, naquirent trois grands califats: celui de Sokoto dans le nord du Nigeria, celui d’Hamdallahi au Macina et enfin le califat de Sénégambie.
Dans l’ouest africain, le souvenir de ces épisodes n’est pas le même selon qu’ils sont racontés par les Peul ou par leurs victimes. Pour les premiers, les conquérants peul sont des héros quand les Maliens d’origine bambara ou dogon les voient au contraire comme des conquérants cruels et sanguinaires dont l’impérialisme pillard fut camouflé par un justificatif religieux.
Dans le cas des actuels Mali et Burkina Faso, le phénomène d’expansion des Peul fut stoppé par la conquête coloniale des années 1895 qui fut une délivrance pour les peuples sédentaires, qu’il s’agisse des Dogon, des Bambara ou des Djerma. L’arrivée des Français leur apportant la paix, la fin des chasses à l’esclave, ces derniers commencèrent alors à se réinstaller dans les régions dont ils avaient été chassés par les Peul. Mais ces derniers considérèrent qu’ils venaient voler leurs pâturages…
Le phénomène de réinstallation donna naissance à l’actuelle occupation de l’espace, à savoir un enchevêtrement des populations entre villages de sédentaires et campements de nomades peul. Or, depuis deux ou trois décennies, en raison, de l’essor démographique, de l’adoption de l’élevage par les agriculteurs, et de la péjoration climatique, la cohabitation entre pasteurs peul et peuples agriculteurs devient de plus en plus difficile. D’où de très nombreux affrontements dont profitent ceux des jihadistes qui sont Peul, et qui volent au secours de leurs frères. Quant aux Dogon, aux Bambara, aux Djerma et plus généralement tous les sédentaires, ils considèrent les Peul comme des envahisseurs cherchant à reprendre une expansion mise entre parenthèses par la colonisation. Voilà les clés de compréhension de la question.