Après la visite officielle de la ministre française de l'Europe et des affaires étrangères, Catherine Colonna, les 15-16 décembre courant à Rabat, comment appréhender désormais les relations avec Paris? Celles-ci accusaient, on le sait, un froid plutôt glacial depuis plus d'un an, en particulier par suite de la décision du président Macron de réduire drastiquement de moitié les visas accordés aux Marocains - une mesure identique prise pour l'Algérie et, de 30 %, pour la Tunisie. Elle a été jugée par le Royaume comme étant «injustifiée»... L'argument invoqué par les autorités françaises était que ces pays n'acceptaient pas la réadmission des milliers de leurs concitoyens sans titre légal de séjour frappés d'une expulsion de l'hexagone - ce que, dans le jargon administratif, l'on appelle l'Obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Qu'en est-il pour ce qui concerne le Maroc? Sur les quelque 3.000 OQTF délivrées en 2021, il n'y aurait eu qu'une petite centaine d'opérées effectivement (3%) pour toutes sortes de raisons administratives (identification, filiation, nationalité...). Ce chiffre aurait été amélioré au cours des onze premiers mois de 2022 et se serait situé autour de 300 personnes. Le déplacement de la responsable française était focalisé sur la question des visas. Le jour même de son arrivée, elle avait déclaré au quotidien Le Matin qu'elle se réjouissait que «nous revenions à une pleine coopération consulaire» - ce qu'elle a réitéré le lendemain, lors de la conférence de presse conjointe avec son homologue marocain, Nasser Bourita, en parlant d'une «relation consulaire normale». Un acte faisant sens; il permet enfin de renouer des liens passablement distendus et de conforter un climat de réchauffement entre les deux pays.
La responsable du Quai d'Orsay a mis l'accent sur plusieurs points à cet égard. Elle s'est étendue sur la volonté commune du Maroc et de la France de «se projeter dans un partenariat singulier, moderne et exemplaire». Nul doute qu'il y a un acquis, un capital confortant la nature, la solidité et la dimension de leurs rapports. Depuis plus de deux décennies, un dialogue dense et régulier a été entretenu. Le contact entre les deux chefs d'Etat s’est fait, notamment par téléphone. Mais c'est depuis deux ans qu'il faut bien relever une tonalité moins chaleureuse... En 2021, il n'y a eu que deux visites de ministres délégués dans le Royaume, à savoir Jean-Baptiste Djebarri (Transports) en mars 2021, puis Franck Riester (Commerce extérieur) en novembre 2021. Sur un autre plan, les Rencontres de haut niveau (RHN) se tiennent moins régulièrement. La dernière, à Paris le 19 décembre 2019, avait réuni les deux chefs de gouvernement avec dix ministres pour chacun des deux pays. Elle a été marquée par la signature de 22 accords de partenariat devant mettre en œuvre des axes de coopération (jeunesse, insertion professionnelle, formation et emploi, développement économique et compétitivité des territoires, décentralisation et mobilité, climat et environnement, projection commune vers l'Afrique).
Sur le plan économique, la France est le premier investisseur, notamment dans le secteur des services. En 2021, le flux net se situe au premier rang avec des IDE de 6 milliards de dirhams, soit un tiers du total. Le Maroc est la première destination des opérateurs français sur le continent. L'on compte plus de 950 filiales d'entreprises de ce pays ainsi que la présence d'une grande majorité des entreprises du CAC 40. Pour ce qui est des échanges commerciaux, ce pays est le deuxième fournisseur du Royaume depuis plusieurs années (23%), déclassé par l'Espagne (28%).
Le Maroc est en tête des financements de l'Agence française de développement (AFD). Pour la période 2017-2021, l'AFD - ainsi que ses filiales Proparco et Expertise France - a prêté chaque année 400 millions d’euros pour des programmes intéressant trois axes: développement du capital humain, réduction des inégalités territoriales et appui des transitions énergétique et écologique. Le Maroc constitue le premier pays d'intervention de l'AFD dans le monde avec une exposition de 3,7 milliards d'euros à la fin 2021. Un nouveau cycle stratégique a été ouvert pour la période 2022- 2026. Il est marqué par la mobilisation d'outils financiers et d'accompagnement pour soutenir le Nouveau modèle de développement (relance par l'investissement et l'initiative entrepreneuriale, inclusion socioéconomique des jeunes et des femmes par le développement humain, décarbonation de l'économie, résilience écologique et sociale des territoires).
Les relations humaines confortent depuis longtemps des liens aussi étroits. La communauté marocaine en France dépasse 1.500.000 personnes. Dans le Royaume, l'on compte quelque 54.000 Français dont la moitié sont d'ailleurs des binationaux. Plus de 46.000 étudiants marocains se trouvent en France - c'est la première nationalité étrangère. Par ailleurs, 46.000 élèves sont inscrits dans les établissements français au Maroc. Mais la présence et l'influence françaises se trouvent aujourd'hui concurrencées par d'autres langues (anglais, espagnol); une évolution qui influe également sur les choix des cursus universitaires au-delà de l'hexagone (Etats-Unis, Espagne, Belgique, Allemagne...).
Cela dit, quel va être l'agenda diplomatique des deux pays en 2023? Il est prévu une visite officielle du président Macron au cours du premier trimestre 2023. Sera-t-elle précédée - ou suivie - par une réunion de haut niveau entre les chefs des exécutifs des deux pays? Et puis, il y a ceci: quelles seront les bases des rapports bilatéraux dans l'avenir? Le Maroc a défini à cet égard une position marquée du sceau de la clarté. Pour définir ensemble les axes de nature à consolider et à élargir les grands secteurs de coopération qualifiée de partenariat privilégié, d'exception même. Il considère qu’une mise à plat est à faire.
L'on ne peut pas, dans cette même ligne, évacuer la position de Paris sur la question du Sahara marocain. Rabat soutient qu'elle attend précisément de son partenaire traditionnel moins d'ambigüité. Les termes de référence de cette cause nationale ont changé, l'environnement international aussi: il faut en prendre acte. Une nouvelle dynamique a été imprimée à ce sujet devant les instances internationales, en particulier le Conseil de sécurité. Elle est liée aux décisions prises par les Etats-Unis depuis décembre 2020 sur la marocanité des provinces méridionales récupérées ainsi qu'à la révision historique de Madrid, de Berlin et d'autres. Paris avance qu'elle soutient depuis 2007 le plan d'autonomie présenté en avril 2007 au Conseil de sécurité. La ministre française des Affaires étrangères l'a répété lors de la conférence de presse du 16 décembre. Ce qui est demandé à ce pays c'est d'aller plus loin en convergence avec les réévaluations faites depuis deux ans tant de la part des Etats-Unis que de grands pays membres de l'Union européenne. Nasser Bourita a expliqué à cette même occasion qu'il fallait distinguer entre le processus et les objectifs poursuivis. Le soutien au processus ne suffit pas; il importe que les efforts et les initiatives soient tournés vers un règlement définitif, sur une base négociée de compromis réaliste. De plus, la haute instance onusienne - le Conseil de sécurité - a adopté le 27 octobre dernier la résolution 2654 qui consacre de nouveau les paramètres de négociation. Un processus qui doit être mis en œuvre et réactivé alors que l'Algérie s'y oppose.
Que compte faire Paris pour faire bouger les lignes avec ce pays avec lequel un «axe» a été renforcé? Mme Colonna a déclaré qu'elle se félicitait de «la densité du partenariat franco-marocain» et que «cela suppose de nous adapter aux attentes légitimes du Maroc qui continue de se transformer». Ce doit être le référentiel fondant durablement des relations d'avenir.