C’est effectivement l’une des propositions phares des assises nationales de refondation qui se sont tenues récemment un peu partout dans le pays, du moins dans les parties contrôlées par le pouvoir central. Car certaines régions, notamment au nord du pays, échappent encore au contrôle des autorités, et le départ progressif des forces françaises de l’opération Barkhane laisse à nouveau planer sur Bamako l’ombre de l’épée de Damoclès, celle du retour d’une insurrection des mouvements Touaregs et terroristes, qui pullulent toujours dans la région sahélo-saharienne.
Un contexte auquel on peut ajouter la crise économique que traverse le pays, le chômage des jeunes et une corruption endémique, qui ne se prête pas aux vœux pieux des tenants d’une transition démocratique immédiate. Car le Mali doit autant penser que panser ses plaies, ses fractures et ses faiblesses structurelles avant d’espérer pouvoir fonder des institutions démocratiques, mais avant tout légitimes et viables. La temporalité de l’Etat n’est pas celle des aspirations politiques et idéologiques des uns et des autres.
Ce fut là l’idée même des Assises Nationales de la Refondation, organisées par Bamako, et qui ont démarré le 11 décembre dernier. Plus de 594 propositions ont été formulées portant autant sur l’éducation, la santé et l’économie que sur la sécurité, la défense, l’indépendance de la justice et la nécessaire limitation des pouvoirs du poste de Président du Mali.
Maintenant, qui est Assimi Goïta, l’homme fort derrière les deux coups d’Etat ainsi que le grand initiateur des Assises Nationales de la Refondation? Et vu son bras de fer frontal avec la France, peut-on y voir les prémices d’un nouveau Sankara?
Sur internet, on ne peut pas dire que les données et les informations soient abondantes sur le personnage. Une maigre page Wikipédia nous informe qu’il s’agit d’un jeune colonel de 38 ans, qui a effectué l’intégralité de son parcours de formation militaire au Mali. En 2012, au moment de l’insurrection des mouvements rebelles au nord du pays, suite à l’éclatement de la Libye, il était à la tête des forces spéciales maliennes au centre du pays. Ce qui nous permet d’affirmer qu’il connaît non seulement très bien la réalité du terrain, mais aussi les défaillances d’une armée malienne qui s’est effondrée comme un château de carte devant la poussée des rebelles. Assimi Goïta a une revanche à prendre. Contre les rebelles en premier lieu, mais aussi contre un Establishment politique vu comme étant à la solde de la France, et à l’origine de l’humiliante débandade de l’armée malienne en 2012.
De même, Assimi Goïta n’est pas Burkinabè, et n’est certainement pas de gauche, et encore moins communiste. Donc pour le parallèle avec Sankara, c’est ailleurs qu’il faudra chercher d’éventuelles similitudes.
Cependant, la non-obédience de Goïta à telle ou telle chapelle idéologique ne signifie aucunement que le personnage n’a pas de convictions et de vision politiques. Loin de là. La cérémonie d’ouverture de la phase nationale des Assises de Refondation a été l’occasion de découvrir certains piliers de la vision du colonel Goïta quant à l’avenir du Mali.
Citons quelques passages-clés de l’intervention d’Assimi Goïta.
«Les dérives graves au niveau de la gouvernance et renoncement aux valeurs cardinales de notre société, la perte de repères, l'incivisme généralisé ont provoqué la faillite de l’Etat.»
«Il était temps, et même grand temps, d’arrêter la spirale de la dérive, c'est pourquoi nous devons replacer notre Mali dans une nouvelle dynamique plus soucieuse de nos valeurs et vertus.»
«C'est à cette entreprise de refondation qui a valeur de salubrité publique à laquelle vous êtes conviés pour poser les fondements solides et les modèles de gouvernance endogènes qui s'inspirent de notre patrimoine historique et culturel.»
«Les Assises nationales de la refondation de l'Etat sont, par vocation, ouvertes au peuple malien, donc au Mali profond, le Mali des paysans, des bergers, des artisans, des ouvriers, des ménagères, des personnes âgées, dépositaires de notre sagesse, des communicateurs traditionnels, gardiens de notre patrimoine culturel, des personnes déplacées ou réfugiées. Bref, le Mali de ceux qui souffrent le martyre en silence, le Mali des sans-voix.»
Les éléments de langage les plus percutants de son discours (valeurs, vertus, patrimoine historique et culturel, Mali profond, sagesse populaire, le Mali des sans-voix, etc.) convergent pour esquisser les contours d’une vision bien articulée, celle d’une souveraineté culturelle et intellectuelle comme fondement de toutes les autres formes de souveraineté. N’étant pas passé par les bancs des grandes universités ou les centres de formation en France, Goïta ne fait certainement pas partie de ceux que Bernard Lugan qualifie à juste titre d’Européens de peau noire. Il est porteur d’une fraîcheur politique qui, en faisant de la souveraineté culturelle le point de départ de vision politique, ne manque pas de la traduire aussi géopolitiquement, en cherchant de nouveaux partenaires stratégiques à l’instar de la Russie, dont l’efficacité dans la lutte contre le terrorisme n’est plus à démontrer. Sa remise en cause des schémas de prédation installés par la France dans la région s’inscrivent dans la même démarche, celle d’une émancipation complète du Mali, d’une affirmation nouvelle et peut-être la première démarche d’une vraie souveraineté de l’Etat malien.
Il en résulte qu’entre les tenants d’une transition démocratique rapide du Mali, quitte à installer une démocratie de façade, et les tenants d’une vraie transition qui respecte la temporalité du réel, le choix d’un patriote ne peut se porter que sur la deuxième option.
Tout ce qu’on peut souhaiter à nos frères maliens, et à la région dans sa globalité, est que l’espérance de vie d’Assimi Goïta soit supérieure à celle de Sankara, et que ce noble projet ne finisse pas par se corrompre et se perdre dans les dédales de la politique politicienne et des jeux d’intérêts claniques.