La conquête des imaginaires est aussi importante, voire davantage, que celle des territoires. Des guerres ont même été perdues militairement mais gagnées médiatiquement sur le terrain de l’opinion publique.
Aujourd’hui, l’image prime sur le réel et le langage devient une arme redoutable. Le mot guerre devient tabou et prend de nouveaux noms selon l’agenda politique et les impératifs médiatiques. L’Amérique ne fait pas de guerres mais des «interventions militaires». Elle ne mène pas des sièges destructeurs mais des «libérations de villes» comme à Mossoul. Côté russe, la guerre prend désormais le nom d’«opération militaire spéciale».
Cette novlangue a plusieurs avantages. Car contrairement à la guerre dont la fin réclame un long et pénible processus (cessez-le-feu, négociation, signature d’un traité, dédommagements, etc.), une intervention ou opération militaire peut prendre fin quand son initiateur décide qu’il a atteint ses objectifs, quand bien même cela ne serait aucunement le cas sur le terrain. L’enjeu de ce nouveau vocabulaire est d’offrir une plus grande marge de manœuvre politique au pouvoir, tout en rassurant son opinion publique sur la dimension ciblée et temporaire de l’engagement militaire.
De même, on ne parle plus de massacres de civils mais de dégâts collatéraux. Les Américains ont même inventé l’expression «frappes chirurgicales». Un tel chirurgien, vous ne lui confierez pas vos enfants… L’agression militaire devient une guerre préventive et la destruction totale d’un pays prend le doux nom de «guerre humanitaire».
Quelques images fabriquées ou décontextualisées accompagnées des éléments de langages adéquats suffisent à justifier une guerre ou à diaboliser tout un pays. Agiter le peuple avant de s’en servir, disait Talleyrand.
C’est pour cette raison que dans ce paradigme postmoderne, il ne suffit pas d’avoir raison pour ne point avoir tort. Nous sommes entrés de plain-pied dans l’ère de la post-vérité.
Dans ce contexte, un pays qui se voudrait pacifique, à l’instar du Maroc, qui souhaiterait exercer sa souveraineté en défendant ses intérêts nationaux dans le respect du droit international, peut-il échapper à ce genre de pratique? La réponse est évidemment non. Car même en temps de paix, la propagande se déploie pleinement.
Nos voisins de l’Est dépensent à cet effet des sommes colossales pour ternir l’image du Maroc auprès des opinions publiques occidentales à travers différents réseaux d’ONG et de médias corruptibles. Ils sont même allés, il y a quelques mois, jusqu’à inventer une guerre imaginaire à coups de photomontages et de vidéos scénarisées. Le succès n’est pas au rendez-vous, car la donne a changé depuis quelques années. Le professionnalisme et le réalisme de notre diplomatie ainsi que notre soft-power qui reste à améliorer mais fait déjà preuve d’une redoutable efficacité, constituent désormais un barrage solide face à ce type de pratiques.
A l’époque, des experts, consultants et même des politiques se répandaient dans les plateaux des émissions françaises, pour se révolter en vierges effarouchées contre une pseudo-opération de mise sur écoute de personnalités politiques française, dont le président français lui-même.
Des preuves quelconques? Aucunes. Car dans ce paradigme de la post-vérité, la preuve est optionnelle. Et ce n’est aucunement la véracité qui compte, mais l’objectif qu’il s’agit d’atteindre. C’est là où l’adage «la fin justifie les moyens» prend tout son sens.
Tout a commencé le 18 juillet dernier, au moment où une enquête menée par un consortium regroupant des journalistes en collaboration avec une organisation interlope Forbidden stories et Amnesty International, ont affirmé, là encore sans preuves aucunes, qu’un certain nombre de pays, utilisaient le logiciel d’espionnage israélien «Pegasus» pour espionner les téléphones d’opposants aussi bien à l’intérieur de leurs frontières ainsi qu’à l’extérieur.
Cependant, sur les différents pays soigneusement sélectionnés, au détriment de tant d'autres, par la soi-disant enquête (Mexique, Inde, Emirats, Arabie Saoudite, Hongrie, etc.), seul le Maroc a été épinglé par les médias français.
La rhétorique des différents intervenants sur les plateaux TV a semble-t-il oublié «le conditionnel», lui préférant l’affirmatif et le sensationnel. Il a fallut que le Maroc entame des procédures juridiques contre les médias diffamatoires pour que nos Torquemadas calment leurs ardeurs. Mais malheureusement, l’efficacité redoutable de cette démarche réside dans le fait que beaucoup de Français ne retiendront que les premières accusations.
Dans le même registre, certains épisodes de l’émission «Le dessous des cartes» produite par la chaîne franco-allemande ARTE, n’ont pas hésité à présenter le Maroc comme un Etat quasi-médiéval au bord de l’implosion. Cela coïncidait d’ailleurs avec le froid diplomatique à l’époque entre Rabat et Berlin. Sur le terrain de la propagande, tous les coups sont permis.
Les exemples ne manquent pas. Tout cela pour dire que le soft-power traditionnel bien qu’étant important, ne suffit plus aujourd’hui à contrecarrer ce type de procédés. L’ingénierie sociale doit désormais faire partie de notre arsenal médiatico-diplomatique. Cette dernière, Lucien Cerise la définit comme «l’ensemble des instruments qui permettent la transformation furtive d’un sujet social individuel ou collectif, en vue d’atteindre des objectifs politiques ou idéologiques».
L’objectif est double. En faire un bouclier solide contre les manipulations extérieures, ainsi qu’une arme au service de nos intérêts nationaux.
Ainsi, au risque de me répéter à nouveau, il me paraît utile de rappeler en guise de conclusion que face à l’hégémonie de l’image, du virtuel et de l’émotionnel qui caractérisent notre époque, il ne suffit pas d’avoir raison pour ne point avoir tort.