Parmi les arguments des adversaires de l'intégrité territoriale du Maroc, il y en a un qui est périodiquement remis sur la table: la richesse en phosphates du pays s’accroît de façon intolérable si on y ajoute les gisements sahariens.
Dès la reconnaissance par les Etats-Unis de la marocanité du Sahara, il y a deux semaines, cet argument a refait surface, comme le monstre du Loch Ness.
Pour qui a travaillé dans le domaine (j’ai dirigé la plus grande mine de phosphates du monde, du côté de Khouribga, alors que j'étais jeune ingénieur, dans les années 90), cet argument ne tient pas la route: les gisements sahariens n’ajoutent que 2% aux 66% que détient le Maroc entre Khouribga, Youssoufia et Benguerir. Le phosphate produit pas loin de Laâyoune est d’excellente qualité mais 2%, ce n’est pas ça qui modifie la donne. A la limite, le Maroc pourrait s’en passer entièrement.
L’argument est donc erroné. Mais il ne cesse pourtant d'être utilisé –ne parlons même pas des ignorants qui croient que tout le phosphate marocain provient du Sahara. Renseignez-vous, les gars, ce n’est pas compliqué, il y a des cartes, des données géologiques…
Au-delà de cette erreur, il y a toujours eu une sorte de fixation sur ce que les géologues appellent un “scandale“, le fait qu’il y ait autant de ce minerai chez nous. Hier encore, un ami me disait qu’ayant croisé un jour Colin Powell, l’ancien Secrétaire d’État américain, celui-ci lui dit tout de go: “vous êtes Marocain? 70% des réserves mondiales de phosphate!”
Cette fixation repose sur un fait: sans les engrais phosphatés, la planète ne pourrait pas nourrir 7 milliards d’habitants. Le slogan d’OCP est donc parfaitement exact: «Nourrir la terre pour nourrir la planète». Le phosphore, pour lequel il n’existe pas de substitut, est l’élément chimique le plus important pour la survie de l’humanité, au même titre que l’oxygène.
Il y a une dizaine d’années, une sorte de complot –pas du tout imaginaire– se trama entre une ONG norvégienne, une chercheuse australienne, un lobbyiste américain et un conseiller d’Obama pour proposer… la mise sous tutelle internationale du phosphate marocain!
Oui, vous avez bien lu. Personne n’a jamais proposé la mise sous tutelle du pétrole saoudien mais il y a vraiment eu, un temps, cette idée bizarre, incongrue, d’établir une sorte de Protectorat de l’ONU sur le Maroc sous prétexte d’assurer l'approvisionnement mondial en engrais phosphatés. Obama a dû éclater de rire et jeter le projet farfelu dans sa corbeille à papier. Il savait, lui, qu’on ne peut pas traiter un pays à l’Histoire millénaire comme on le ferait d’une île inhabitée du Pacifique.
Quant à l'idée que le Maroc pourrait faire chanter le monde entier en suspendant sa production de phosphate, comme les pays du Golfe avaient suspendu leurs livraisons de pétrole au début des années 70, elle repose sur une méconnaissance de la nature du produit. La terre peut supporter de ne pas recevoir d’engrais pendant une année ou même deux ou trois: elle continuera à produire, fût-ce avec des rendements décroissants. (C’est ce qu’on appelle “l’effet vieille peau”.) Le monde ne mourra donc pas de faim. En revanche, si on ne met pas d’essence dans un moteur, il ne démarre pas. On ne peut donc pas exercer de chantage sur les pays consommateurs en suspendant les livraisons de phosphate.
Un peu de science permet donc de calmer les appréhensions des uns et des autres.
Cela dit, il faudrait peut-être faire l’inverse, ne pas déniaiser ceux qui ont peur de la position dominante du Maroc sur ce marché.
Et s’ils reprennent ces jours-ci leurs lubies, restons sereins et laissons jacter. Pour ce qui est du Protectorat, nous l’avons déjà eu: nous sommes immunisés…