Ces jours-ci, nous subissons vague de chaleur après vague de chaleur. Les forêts brûlent, l’eau manque, les événements extrêmes (ouragans, sécheresses…) se multiplient dans le monde. On pourrait croire que le changement climatique est maintenant un fait admis par tous et que l'humanité va se retrousser les manches pour prendre les mesures nécessaires. Hélas, l'être humain est décidément capable de nier l’évidence la plus criante…
Il y avait autrefois à Heidelberg, au milieu du XVIIe siècle, un professeur d'université comme seule l’Allemagne sait en produire: érudit, maniant le grec ancien et le latin, compulsant les manuscrits avec allégresse, maniaque de la note de bas de page et capable de traiter de tous les sujets, de tous les pays, de toutes les époques. Et pourtant, le Herr Doktor n’avait jamais mis les pieds hors de Heidelberg.
Un jour, on ne sait pourquoi, le polygraphe s’attaqua au chameau. Il lut avec attention les relations de voyage, les récits d’explorateurs, les comptes-rendus des Académies savantes; il calcula le poids relatif de la bête rapporté à ses articulations; il estima le volume de la fameuse bosse et ce qu’elle pouvait contenir de réserve d’énergie; et il arriva à une conclusion aussi radicale que péremptoire: un tel animal ne pouvait pas exister!
Quelques mois après l’article renvoyant le chameau brouter au royaume des fables à côté du griffon et de la licorne, des romanichels s’installèrent pour quelque temps à Heidelberg dans l’espoir de gagner quelques pfennigs en amusant le vain peuple. Ils avaient apporté une petite ménagerie dont la pièce maîtresse était -vous l’avez deviné- un chameau.
Le professeur, alerté par ses voisins, se transporta sur la place du marché, ajusta son lorgnon et examina minutieusement le placide ongulé. Puis il rentra chez lui à pas lents, s’installa devant son lutrin, prit sa plus belle plume d’oie, la plongea dans l’encrier et pondit un article furibond dont voici l’essentiel: le chameau? Un tel animal ne peut pas exister!
Ce professeur cocasse d’autrefois semble s’être réincarné aujourd'hui -mais c’est hélas bien moins amusant. Ce sont maintenant des hommes puissants, des hommes politiques, des as du complotisme, des leaders religieux, des ‘influenceurs’, qui s’évertuent à nier ce qui crève les yeux. Mais à la différence de l’inoffensif Herr Professor Doktor qui ne causait aucun dégât -à part les plumes d’oie, l’encre et le tabac, il ne consommait pas grand-chose- ces personnages néfastes contribuent, par leur négationnisme, à aggraver le problème, notre problème, qui est devenu une question de vie et de mort.
Une étude publiée dans Nature Communications montre que les climato-sceptiques ont bénéficié pendant des années de plus d’attention médiatique que les climatologues reconnus. La visibilité des ‘négationnistes’ a été 49% plus importante. Ils ont été cités plus souvent même dans les médias anglophones de premier plan comme The New York Times, The Guardian ou The Wall Street Journal. L'humanité est-elle globalement stupide? Effrayante conclusion…
En ce qui me concerne, je ne discute plus avec ces gens. Mais j’ai parfois envie d'interrompre leur logorrhée anti-scientifique par cette simple question:
- Et le chameau, qu’en penses-tu? Tu crois qu’un tel animal existe?