L’équipe nationale de football a officiellement un seul entraîneur. En fait, elle en compte plusieurs millions, tous bénévoles, tous plus compétents que le titulaire du poste. Chaque amateur de football est persuadé que si on l’écoutait, le Maroc serait champion du monde. «Il faut mettre Abdou à gauche, Pitchou au centre et Lgouchi arrière central.» Il n’y a qu’à se poster dans un café pendant un match de foot et tendre l’oreille. Même l’idiot du village, l’air niais et la vue basse, sait quelle tactique il faut suivre pour battre le Brésil et l’Allemagne réunis. Dommage que personne ne prête attention à ce qu’il dit, parce que chacun est en train d’expliquer à la cantonade, au même moment, son propre plan infaillible pour empêcher Messi de toucher le moindre ballon («Il suffit de sélectionner Abdeljebbar de Fquih Ben Salah»).
Tout cela est plaisant et ne mange pas de pain. On peut s’en amuser et, soyons honnête, nous le faisons tous: nous sommes à la fois l’idiot du village et celui qui se moque de lui. Allez, sans rancune, on ira tous prendre un verre de lait à la mahlaba, après le match.
Mais il y a un domaine autrement plus sérieux où tout le monde fait la même chose que l’amateur de football, c’est celui de l’économie donc, indirectement, de la politique et de la marche du monde. J’étais la semaine dernière en train de discuter dans un café avec un type, nommons-le Abdelmoula, qui n’a aucune, je dis bien aucune, notion d’économie. Cela ne l’empêchait pas d’exposer avec une autorité impressionnante ce que le Maroc devrait faire pour se développer– étant entendu que tout ce qui a été fait depuis 1956 est nul et non avenu. Abdelmoula : «Tous des idiots et des incompétents! Il suffit d’investir mille milliards, ne rien importer, exporter dans tous les pays du monde, multiplier par trois les salaires, dévaluer, protéger notre industrie, inciter le privé, nationaliser, réévaluer, vendre à la Chine, et voilà!»
On se demande pourquoi tous ces docteurs en économie qui hantent les couloirs des ministères, les think tank et les boîtes de consulting ne font pas appel à Abdelmoula. Parce qu’il a une demi-licence en littérature papoue, peut-être?
Je rencontre tous les jours des Abdelmoula. Vous me dites: «Pourquoi s’énerver? Ils sont inoffensifs.» Non, ils ne le sont pas. Ils disposent du droit de vote. Ne comprenant rien à l’économie, ils ont tendance à croire n’importe quoi. La moitié des ouvriers français votent pour Le Pen alors que le programme de cette ignorante les appauvrirait massivement. Mélenchon est certes plus sympathique mais le projet économique de ce licencié en philosophie ruinerait également la France en moins de deux ans. Moyennant quoi, plus de 40% des Français ont voté pour l’un ou l’autre de ces deux démagogues. Gageons qu’ils n’ont aucune notion de ce qu’est une balance des paiements… Chez nous, c’est la même chose. N’avons-nous pas donné la majorité à un parti qui promettait 6% de croissance annuelle– alors qu’on apprend en première année de sciences éco qu’un taux de croissance se constate et ne se décrète pas?
Bref, je propose que chaque citoyen soit obligé de suivre un cursus d’économie pour avoir le droit de voter. Et s’il ne réussit pas à l’examen, il pourra toujours se reconvertir en entraîneur de l’équipe nationale de football…