Pas facile, chers suiveurs, car ce diable de Jobin a plus d’un tour dans son plumier… Il mêle et malaxe avec frénésie le réel et l’imaginaire, en formant une onctueuse pâte homogène qui vous aspire comme des sables mouvants … Naturellement, je ne vais pas vous raconter l’intrigue à multiples tiroirs, imaginée par ce curieux médecin-éditeur-auteur, fraîchement marocanisé par mariage, car ce serait déloyal ; je conseille simplement de se laisser emporter par ce torrent socio-politico-culturel submergeant le Maroc actuel, de Casa à Rabat, avec des raids dépaysants sur Mascate, Yaoundé, Paris ou autres.
LES FOLIES-BERGERE …
Ah ! ça, on ne s’embête pas, on reconnaît des figures du Tout-Maroc politique, mondain ou douteux, on assiste presque avec effroi à tous ces changements de situations tombant sec comme des tableaux vivants successifs aux Folies-Bergère ou, mieux, comme la guillotine à Paris sous la Terreur … On se perd parfois dans ce dédale d’intrigues, de personnages, d’événements mais le scénario au moment où il allait se casser la gueule, redécolle en se cabrant comme une fusée de science-fiction … La sueur perle au front du lecteur … On a eu chaud. J’exagère à peine.
REPROCHE
N’en jetez plus, direz-vous ? Eh ! bien si, mais sous forme de reproche, par exemple cette manie, pour «faire vrai», consistant à parsemer le polar d’expressions anglo-américaines, jusqu’à la nausée. Sous prétexte de reproduire le «franglais» des élites marocaines ? Vain prétexte car, par exemple, à la Bourse de Casablanca, échanges et rapports témoignent d’un français à la fois rigoureux et inventif (mais pas trop). Et il y a au Maroc, des cours d’université, des revues courantes ou savantes, des soupers où le français utilisé en remontrerait à bien des cénacles parisiens, montréalais ou liégeois. Non, Monsieur Jobin, avec ce tropisme sémantique anglo-américanomane vous avez cédé à la facilité ! En revanche, vous auriez été sans doute plus près de la réalité rbato-baidaouie en truffant un peu plus votre texte de vivantes expressions d’arabe marocain : Yak ? Safi ! Machi mouchkil ! (1) Certes, la perfection n’est pas de ce monde, et je reconnais que c’est déjà bien beau de nous livrer si vite un second polar, à la fois badin et sérieux, où on ne s’ennuie pas une seconde et où, et pour moi cela n’a pas de prix, on n’est pas confronté à ces thèmes devenus quasi obligatoires de nos jours dans les Lettres francophones : travestis, transgenres et autres modes socio-idéologiques importées. Tout juste si Guillaume Jobin nous sert quelques drogués… Ouf !
IMPORTANCE DU MOQADEM
Et pour finir, une citation qui vous dira mieux que toute ma chronique l’extrême finesse d’observation de l’ «agent secret» Jobin : «Le moqadem, la cheville ouvrière de la sécurité et de l’autorité, rapporte au caïd par le BRQ, Bulletin de renseignement quotidien, des faits et gestes de tout un quartier grâce aux gardiens, aux épiciers, aux bonnes et j’en passe. Une femme âgée de Béni-Mellal qui achète trois pains depuis une semaine au lieu d’un seul quotidien, et une cellule terroriste est démembrée»
(1) N’est-ce pas ? D’accord ! Pas de problème !
LIRE : « Route d’Anfa », par Guillaume Jobin, Casa-Express Ed. , Rabat-Paris 2016, 300p., 100 dh, 13€