Dans des pages qu’il commença à rédiger dès 1937, le plus connu des chefs de gouvernement de Sa Gracieuse Majesté, et qui fut toute sa vie un monarchiste de conviction, a choisi de distinguer, parmi une vingtaine de figures, seulement trois monarques, face à quatre présidents.
Il en a néanmoins profité pour définir la principale raison de son attachement à la royauté héréditaire: «Une dynastie attachée aux traditions du passé et soucieuse d’assurer l’avenir fournit un élément de sécurité à la liberté et au bonheur des nations».
Sur sa lancée royaliste, Churchill s’en prend aux pays qui, «en chassant les monarchies héréditaires ont cru s’engager sur la voie du progrès, mais en réalité sont allés trop loin».
Le Kaiser vaincu
Parmi les souverains sélectionnés, outre les rois anglais Georges V et Edouard VIII, Churchill ne craint pas de nommer l’empereur allemand déchu en 1918, Guillaume II (1849-1941), cousin des princes britanniques qui contribuèrent à le vaincre et à le détrôner… Churchill estime que l’Histoire ne peut accuser Guillaume II d’avoir oeuvré en vue de provoquer la Première Guerre mondiale. En revanche, le mémorialiste pointe la «jalousie» et le «mépris» du Kaiser pour son parent et pair Edouard VII de Grande-Bretagne.
Le second Roosevelt
Parmi les hommes d’Etat républicains, Churchill a élu le second président Roosevelt des Etats-Unis dans lequel il voit un «explorateur» politique, ayant conçu son action à la Maison-Blanche (1933-1945) «du strict point de vue des intérêts américains». Les puissances vraiment conscientes de leur force, n’ont que des «intérêts» et jamais de «sentiments»; la conclusion de ce profil d’un dirigeant avec lequel Churchill fut en contact direct est une question: «Vaut-il mieux avoir l’égalité au prix de la pauvreté ou le bien-être au prix de l’inégalité?».
On aura compris que Churchill, en bon aristocrate respectueux des hiérarchies, opta, mais avec discrétion, pour la seconde situation, même s’il a eu la pudeur de ne pas le proclamer Urbi et Orbi.
Lawrence d'Arabie
Parmi les figures romanesques, quoique également politiques, chères à Churchill, on trouve deux légendes vivantes de l’impérialisme britannique restées debout jusqu’à nos jours: Lawrence d’Arabie (1888-1935) et Rudyard Kipling (1865-1936). Dans le premier, que Churchill rencontra en Angleterre, vêtu à l’arabe, l’homme d’Etat britannique vit surtout l’arabophile exacerbé, attaché à cet émir Fayçal le Hachémite, dont la France républicaine n’avait pas voulu comme roi de Syrie mais dont Londres allait faire un roi d’Irak faible et contesté.
Churchill le cynique, le faux jovial, ne cache pas sa compassion pour Lawrence l’arabophile insatisfait auquel il promit qu’il vivrait longtemps dans la conscience nationale britannique au rayon Guerre mais aussi, et peut-être surtout, au rayon Littérature, grâce aux Sept piliers de la Sagesse, son maître-livre.
Quant à Kipling, chantre sans complexe de l’Empire britannique, «le plus vaste de tous les temps», Churchill, lui-même colonial dans l’âme, depuis qu’il servit la Couronne aux Indes puis en Afrique-du-Sud, n’en pense pas moins que ce qui survivra, et de l’écrivain et de l’homme d’action Kipling, c’est surtout «le génie de sa plume».
Churchill lui, reste surtout dans la mémoire universelle comme un décideur politique sans jamais le moindre état d’âme, multipliant par exemple les brimades envers son «allié» le général de Gaulle, chef de la France libre réfugié à Londres ou bien abandonnant aux féroces communistes les résistants royalistes yougoslaves en guerre contre l’Allemagne nazie… Les intérêts britanniques avant tout, toujours …
Lire: Winston Churchill, Mes Grands Contemporains. Tallandier, 2017.